24 février 2020
Vivre seul avec la maladie

Il n’est pas impossible de vivre seul avec la maladie d’Alzheimer. Bien au contraire.

La maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées posent la question de la dépendance. Mais il est possible de vivre seul avec la maladie.

C’est en tout cas le message de Capucine Gèze, psychologue à l’accueil de jour de l’espace Jeanne Garnier à Paris, et qui côtoie tous les jours, à son travail, des personnes qui affrontent, seules, sans aidant principal, la maladie. « L’idée toute faite de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée dit que l’on ne peut plus rien faire avec ces maladies. Il est vrai que des choses du quotidien peuvent devenir compliquées avec cette maladie. Mais il est possible d’être encore indépendant et de vivre seul avec la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée, avec la complicité d’aides à domicile. »

« La question ne s’est pas posée quand j’ai appris que j’avais cette maladie », témoigne Jacques Minchin, citoyen de Colombes (Hauts-de-Seine) de 78 ans. « Ce n’est pas effrayant de vivre seul avec la maladie. Simplement, oui, c’est plus difficile, mais je me débrouille très bien. Je me lève, je prends ma douche, je fais mon petit déjeuner. J’ai acheté des livres faits par des orthophonistes et chaque matin, je prends une heure pour faire des exercices, comme si j’allais à l’école. Je mange des plats préparés ou je vais au restaurant. De toute façon, je ne cuisine pas bien. Et l’après-midi, je vais sur Internet, je fais des sudoku, je fais des mots croisés. Alors oui, avant, je mettais une heure pour faire des mots croisés. Maintenant, je mets trois heures. »

Si Jacques n’a pas d’aidant proche principal, il s’est constitué un réseau et il reste actif. « Je reçois parfois la visite de ma fille et de mon amie qui habite Angoulême, mais j’ai aussi beaucoup d’activités. Je vais à des ateliers, je vais au musée une fois par mois, je joue au ping-pong, je vais à des groupes de parole, je participe à l’émission Bande à part d’Alzheimer la radio… Je fais plein de choses, ça me fait plaisir d’être avec des gens, avec des copains en somme. »

Maintenir la vie sociale

Le maintien de la vie sociale est d’ailleurs fondamental pour les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer, et encore plus pour les personnes seules. « Ça peut être une activité régulière, partager des moments entre amis, parler avec ses voisins, l’accueil de jour… », énumère Capucine Gèze. « Il est important de ne pas s’isoler. L’isolement peut aggraver les symptômes de la maladie. »

La psychologue relève toutefois que l’autonomie dépend aussi en grande partie du caractère de la personne. « L’autonomie, c’est la capacité à pouvoir faire des choix, à déterminer comment on veut vivre. Croire que l’on peut être autonome avec la maladie d’Alzheimer, ça me parait fondamental. Il faut continuer à faire des choix, à être acteur et à se sentir acteur, à être et à se sentir utile. On peut être à la fois autonome et dépendant, en gérant les différentes aides. »

Et Capucine Gèze d’ajouter : « Une personne peut très bien aussi vivre seule et ne pas sentir seule. Vivre seul, cela peut être vécu plus ou moins douloureusement selon l’histoire de vie. Tout le monde n’a pas développé les mêmes ressources internes. Après, il s’agit de suivre au jour le jour ce qui se passe. On sait que la maladie évolue dans le temps. Il peut y avoir une période où il n’y a pas de problème, où tout se passe bien à la maison. Les difficultés peuvent ensuite survenir tout d’un coup. Les personnes autour de la personne vivant la maladie peuvent relever ces difficultés, donner l’alerte et trouver les aides éventuelles pour faire en sorte que la personne malade puisse encore rester à la maison. La conscience des difficultés peut aussi fluctuer. Certaines personnes malades vont en avoir conscience et se dire qu’ils doivent par exemple arrêter de conduire. D’autres, à l’inverse, ne vont pas se rendre compte de leurs difficultés. D’où l’intérêt encore une fois d’avoir un tissu social et des professionnels autour qui peuvent dire les choses. »

Mais jusqu’à quand la personne pourra rester seule à son domicile ? « C’est une question extrêmement complexe », glisse Capucine Gèze. « C’est du cas par cas. Ça prend beaucoup de temps. Il faut que ça ne se passe pas brutalement quand c’est possible. Il faut en parler en amont, il faut l’anticiper. »

Et Jacques de conclure : « Finalement, être seul ne me dérange pas trop. Je vois encore beaucoup de personnes. Quelquefois, je suis même content d’être seul. Pour le reste, je me sens bien. Bien sûr, quand ça n’ira plus, il faudra aller dans une structure adaptée. Mais ça, c’est le plus tard possible. »