29 décembre 2023
Le quotidien compliqué des aidants en activité professionnelle

La France compte environ 4,5 millions d’aidants en activité professionnelle. Ce nombre ne fera que croître dans les années à venir à cause notamment du vieillissement de la population. Des dispositifs d’aide existent, mais ils ne semblent pas à la hauteur des enjeux et des besoins. Les employeurs, eux, semblent de plus en plus sensibles à la situation de ces personnes. Des experts soulignent également qu’il est important de ne plus considérer ces aidants en activité professionnelle comme un poids, mais comme une aubaine.

En France, 9,3 millions de personnes déclarent apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie, que cette personne vive dans le même logement ou ailleurs, selon un rapport de 2021 de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). La moitié d’entre eux sont en activité professionnelle.

Ces aidants ont des visages divers et multiples. Ce sont des conjoints, des enfants, des frères, des soeurs, etc. Certains donnent une heure par semaine de leur temps à leur proche, d’autres beaucoup plus. Nombreux sont ceux qui déplorent une charge mentale augmentée, qui sortent moins ou qui ne pratiquent plus leur sport favori pour se libérer du temps et s’occuper de leur proche. Certains aidants en activité professionnelle se retrouvent même contraints de quitter leur travail.

« Je n’ai pas eu d’autre choix que de démissionner »

Parmi eux : Sarah, la vingtaine et originaire de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Après des années d’errance et d’inquiétude, sa maman, Béatrice, a reçu le diagnostic d’une dégénérescence fronto- temporale (DFT) il y a un an et demi, à l’âge de 48 ans. « C’est jeune, pour tomber malade », soupire Sarah. « Et pour l’heure, nous n’avons toujours pas de solution en ce qui concerne le plan d’aide. »

aidants en activité professionnelle

La jeune femme a créé un compte Tik-Tok où elle raconte son quotidien et celui de sa maman. Dans une vidéo explicative diffusée en août dernier, celle qui était hôtesse de caisse dans un supermarché à Pau, explique qu’elle n’a pas « eu d’autre choix que de démissionner » et qu’elle a ensuite attendu quatre mois pour déposer sa demande d’allocation de chômage. Mais elle est refusée. « On me dit que l’on ne paie pas les gens qui s’occupent d’un parent malade mais ceux qui cherchent du travail. »

Sarah a finalement obtenu de l’aide auprès de la Caisse d’allocations familiales (Caf) et une dérogation pour avoir le Revenu de solidarité active (RSA).

« Ils m’ont embauchée en connaissant ma situation »

Les histoires ne sont pas toujours aussi négatives. « La mienne est même un peu particulière », glisse Nathalie, 58 ans, de l’Oise, fonctionnaire au parc naturel régional Oise – Pays de France. « Jacques, mon mari, qui a 67 ans aujourd’hui, a été diagnostiqué Alzheimer début 2018. En juillet 2017, il avait quitté un bon poste pour un autre à Orléans. Quand il a commencé à travailler, ses collègues ont compris qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Ils ne l’ont pas gardé et Jacques n’avait donc plus de travail. Moi, je travaillais occasionnellement au parc naturel régional Oise – Pays de France. Ma situation était connue de la direction et ils m’ont quand même embauchée, avec un contrat de plusieurs semaines tout d’abord, puis de plusieurs mois. Le poste s’est libéré et je suis devenue fonctionnaire en 2019. Au début, mon mari allait bien. Et moi, ça me faisait du bien de sortir, de travailler. »

Nathalie souligne également qu’elle reçoit le soutien précieux de ses enfants. « Nous en avons quatre et ceux qui pouvaient revenir à la maison sont revenus, pour nous aider. Nous avons aussi cette chance-là et ce n’est pas le cas pour toutes les familles, j’en suis consciente. »

Si l’état de santé de Jacques s’est détérioré, l’employeur de Nathalie est toujours resté à l’écoute, sans être intrusif. « En 2022, j’ai demandé à travailler quatre jours par semaine pour m’occuper de mon mari. Ça a été accepté sans problème. J’ai plus récemment indiqué à ma direction que j’avais besoin de plus de temps pour moi et ma famille et nous avons, ensemble, trouvé un arrangement pour le travail. Je suis passée à mi-temps. Tout se fait dans la bienveillance. Tout le monde est au courant de ma situation mais je n’en parle presque jamais. »

Des aides existent, mais elles semblent inadaptées et insuffisantes

Les aidants en activité professionnelle peuvent avoir accès à divers dispositifs d’aide : le congé de proche aidant rémunéré, le congé de solidarité familiale, le temps partiel de droit, le don de congés… Mais ils peuvent sembler inadaptés et insuffisants, en particulier pour les personnes accompagnant des proches atteints d’une maladie neuro évolutive qui s’inscrit dans la durée. Le congé de proche aidant rémunéré est, par exemple, trop court et trop faiblement rémunéré.

C’est également l’avis du sociologue Thierry Calvat. « À force de vouloir aider tout le monde, même ceux qui n’ont pas un besoin important, on finit par pénaliser ceux qui ont réellement besoin d’aide », analyse le cofondateur du Cercle Vulnérabilités et Société et président de l’association Juris Santé, qui ajoute que « bon nombre de ces aidants n’ont pas recours aux aides, aussi parce qu’ils craignent d’être stigmatisés dans leur entreprise. Ils n’ont pas non plus envie que le regard porté sur eux change, d’être une personne à charge, de cesser d’être un élément productif. Alors, trop souvent, ils ne disent rien. »

Pour Thierry Calvat, un changement de regard est nécessaire, et il serait même salutaire pour les employeurs. Le sociologue estime effectivement qu’ils doivent changer de prisme, qu’il ne faut pas voir les aidants en activité professionnelle à travers uniquement leurs besoins, mais aussi, et surtout, leurs nouvelles compétences et ce qu’ils peuvent apporter avec ce nouveau bagage. De récents travaux tendent d’ailleurs à soutenir cette approche.

Devenir aidant, c’est acquérir de nouvelles compétences

Il y a quelques années, le Cercle Vulnérabilités et société, AG2R La Mondiale et l’Association française des aidants ont initié une démarche inédite d’investigation collaborative et de mobilisation des aidants et des acteurs du monde de l’emploi. Leur étude, dont les résultats ont été dévoilés en 2021, a notamment permis d’identifier des compétences spécifiques acquises par les proches aidants et de se rendre compte qu’elles répondent aux nouveaux besoins des recruteurs. Quatre grands blocs de compétences en ressortent : la capacité de s’organiser, celle de travailler avec les autres et d’orienter, celle de résoudre des problèmes complexes, et enfin, celle de maîtriser des équipements et des technologies.

Thierry Calvat évoque aussi une étude qualitative sur la contribution des salariés aidants qu’il a menée auprès d’une vingtaine d’entreprises pendant la crise sanitaire due au Covid-19, soit une situation de contraintes. « Ces aidants ont globalement bien voire mieux vécu la situation que leurs collègues, tout simplement parce qu’ils vivaient déjà dans une situation de contrainte. En fait, c’est le principe de la résilience. On s’adapte et on devient de plus en plus résistant. Il faut juste que la corde ne casse pas. »

« Considérer uniquement les aidants en activité professionnelle comme des corps souffrants protégés par un statut ne me paraît donc pas la meilleure idée pour les employeurs », poursuit le sociologue. « Changer de regard et mettre l’accent sur les nouvelles compétences permet aussi d’embarquer les aidants et ceux qui ne le sont pas dans une dynamique positive. Cela permet de montrer qu’ils peuvent continuer à contribuer dans le collectif. Tout le monde y gagne. Les aidants se sentiraient ainsi, aussi, moins stigmatisés. Ils ne se sentiraient pas en demande. En fait, les aidants en activité professionnelle devraient presque voir, professionnement parlant, leur situation comme une expérience positive et formatrice à mettre en avant plutôt que de craindre un trou dans un CV. »

« Un gisement plutôt qu’une charge »

Thierry Calvat se veut d’ailleurs optimiste. Pour lui, les employeurs sont de plus en plus attentifs à ces personnes et à leur bien-être. « J’ai l’impression, c’est mon sentiment, qu’il y a un mouvement de fond qui se met en place. De plus en plus d’employeurs comprennent qu’ils ont sans doute plus intérêt à considérer les aidants sous l’angle du gisement que de la charge. En même temps, ils peuvent difficilement passer à côté de ce sujet et pour cause : dès lors qu’un actif sur cinq est aidant en France, ils doivent se dire qu’ils ont environ 20 % de leur effectif qui est concerné. Et cette proportion ne peut que croître. »

Pour étayer son propos, Thierry Calvat évoque les prix Entreprise & salariés aidants, créés en 2016 et soutenus d’ailleurs par l’association France Alzheimer et maladies apparentées. Il relève que les projets primés aujourd’hui sont de plus en plus élaborés.

Quelques chiffres clés

En France, en 2021, 9,3 millions de personnes ont déclaré apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie, que cette personne vive dans le même logement ou ailleurs. La moitié d’entre eux sont en activité professionnelle. Soit, en d’autres termes, un actif sur cinq.

Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 2021.

À peine 1 entreprise sur 10 a pris des dispositions en faveur des salariés-aidants et l’a fait savoir à ses
travailleurs.

Seuls 4 aidants en activité professionnelle sur 10 savent qu’il existe des dispositions légales spécifiques pour eux.

Plus de 8 travailleurs sur 10 aimeraient que leur entreprise soit plus active pour aider les salariés-aidants.

Source : Baromètre d’opinion des Français actifs sur les aidants familiaux exerçant une activité professionnelle – Occurrence pour La Mutuelle Générale, 2023.

42,2 ans, c’est l’âge moyen des salariés aidants. 9,8 heures, c’est le temps moyen d’aide par semaine. Il est plus élevé chez les femmes (10,6 heures) que chez les hommes (9 heures).

Dans 86 % des cas, l’aidance concerne un membre de la famille et dans 46 % des cas, une perte d’autonomie liée au grand âge.

57 % des salariés aidants (63 % chez les femmes) se disent en difficulté. Cette charge mentale élevée a un impact sur le lien social et le répit. 65 % des salariés aidants disent ainsi avoir renoncé à des activités sportives, associatives ou à des sorties pour assumer leur rôle et 44 % ont reconcé à un départ en vacances.

37 % des salariés aidants ont pu opérer des aménagements d’horaires. Pour assurer leur rôle, 49 % d’entre eux prennent sur leurs congés et RTT, 29 % ont eu recours à un arrêt maladie, 27 % à un congé sans solde et 21 % à un congé de proche aidant.

Source : Baromètre OCIRP/Viovoice 2023

Les aides disponibles

logo ma boussole aidants

Le régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco a créé un site Internet dénommé « Ma boussole aidants ».

Le site Web ” Ma boussole aidants “ répertorie les aides existantes pour les aidants en activité professionnelle. Ces informations peuvent être complétées par celles données par les pouvoirs publics.

Congé pour les proches aidants. La durée de ce congé est de trois mois maximum (plus avec certaines conventions) et renouvelable sur un an pour l’ensemble de la carrière. Depuis janvier 2023, le montant de l’allocation journalière proche aidant
(AJPA) s’élève à 62,44 euros par jour et 31,22 euros par demi-journée. La demande de congé doit être réalisée auprès de l’employeur. Les personnes sans emploi, si elles touchent les indemnités de chômage, peuvent aussi en bénéficier.

Congé de solidarité familiale. Il permet au salarié de s’absenter pour assister l’un de ses proches en fin de vie. Ce congé de trois mois est renouvelable une fois, sur une durée maximum de 6 mois. La demande de congé doit être réalisée auprès de l’employeur. Ce congé n’est pas rémunéré mais le demandeur peut bénéficier sous conditions de l’allocation journalière d’accompagnement d’un proche en fin de vie (Ajap).

Temps partiel de droit. Un salarié aidant peut obtenir un temps partiel. Sa durée est limitée et la rémunération est calculée au prorata des heures réalisées. Dans le secteur public, le travailleur peut aussi obtenir, pour les mêmes raisons, une mise en disponibilité de droit, soit une mise entre parenthèses professionnelle temporaire. Dans ce cas, les droits à traitement, à l’avancement et à la retraite sont interrompus.

Autorisation d’absence. Un salarié peut obtenir trois jours d’absence en cas de maladie grave d’un conjoint ou parent.

Don de jour de repos. Un salarié peut renoncer à des jours de congés pour les donner à un collègue.

À noter que les informations relatives à ces dispostifs sont généralement formulées pour les travailleurs du public et du privé. Les travailleurs indépendants et les demandeurs d’emploi ont toutefois, eux aussi, accès à des dispositifs, comme le congé pour proche aidants.

Soutenir les bonnes idées

La 7e édition du prix Entreprise & salariés aidants s’est déroulée le 2 octobre. Elle vise à récompenser les meilleures initiatives des employeurs et des partenaires sociaux.

Organisé par le Cercle vulnérabilités et société puis repris par Audiens, le prix Entreprise & salariés aidant est décerné depuis 2016. Cet événement, précédé d’un colloque et pour lequel l’association France Alzheimer et maladies apparentées est partenaire, a bien évolué depuis sa création.

Le prix Entreprise & Salariés Aidants a trois objectifs. Il s’agit tout d’abord de récompenser les meilleures initiatives des employeurs et des partenaires sociaux, en faveur de leurs salariés et collègues aidants. Il vise aussi à favoriser l’émergence et le partage de bonnes pratiques au service de tous les aidants en activité professionnelle, quelle que soit leur situation (CDI, CDD, demandeurs d’emploi, etc.). Enfin, il souhaite, indirectement, nourrir le vivre-ensemble dans le monde professionnel, servir l’intérêt de tous et de chacun et permettre aux salariés concernés de rester en emploi dans des conditions durables dans l’intérêt des salariés, des personnes aidées et des entreprises.

Cette année, le prix Entreprise & salariés aidants a été décerné à DomusVi par Thibaut Guilluy, Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, et Blandine Langlois, DRH du groupe Les Echos – Le Parisien. DomusVi est un groupe actif dans le domaine de la santé et de l’hébergement des personnes âgées qui conduit une politique interne visant à faciliter la vie de ses salariés aidants et à reconnaître leur statut et leurs savoir-faire.