14 février 2020
« Je ne vais pas m’enfermer à cause de quelques imbéciles »

Lysiane Victoire-Féron, 63 ans, habite Rodez (Aveyron). Elle a été diagnostiquée Alzheimer il y a 11 ans, et a choisi de continuer à faire partie de la société. Entretien.

Comment vivez-vous au quotidien, dans l’espace public, avec un handicap invisible ?

Ce n’est pas facile. Je ne me suis jamais cachée mais nous avons été obligés de créer une routine. Les magasins sont des lieux anxiogènes. Notre stratégie est donc d’aller toujours dans les mêmes magasins, les mêmes commerces. Parce que je sais où ces magasins se trouvent et parce que j’ai dit ma maladie aux personnes. Des amitiés se sont créées avec certains responsables de magasins. Ça, c’est le côté positif. Le côté négatif, ce sont les clients. Quand il y a des caisses réservées, les gens râlent. Ils ne comprennent pas que je doive prendre la place. Je dois sortir ma carte. Il faut se justifier auprès des gens et ça, c’est fatigant et énervant. J’ai rencontré des problèmes similaires pour le parking. On me dit que je ne suis pas en fauteuil, que je n’ai pas droit à une place pour personne handicapée. Je ne suis pas en fauteuil, je n’ai pas de canne, je m’exprime encore très bien… Le problème est là. Tant que ça ne se voit pas, ça pose problème.

La société est-elle bienveillante aujourd’hui ?

Je pense que non. Avec Internet et les réseaux sociaux, la société va de plus en plus vite aussi.

Je mets plus de temps à réagir, à prendre des décisions. Or, la lenteur n’est plus acceptée par la société. Des gens bienveillants, il y en a peu. Ceux qui le sont, ce sont souvent des personnes qui ont été confrontées à la maladie d’Alzheimer, ou au handicap. Dans l’imaginaire des gens, les personnes qui ont Alzheimer sont vieux, cloîtrées chez elles, qui ne parlent plus. Ça rend encore les choses plus difficiles.

Avez-vous songé à quitter l’espace public ?

C’est tout le contraire. Je dis aux personnes que j’ai la maladie, que je vais prendre plus de temps à faire les choses. Je suis toujours sur la défensive mais il ne faut pas s’enfermer à cause de quelques imbéciles. Moi, j’ai envie de vivre. Je n’ai plus de temps à perdre. Je ne veux pas regretter. Je veux

vivre l’instant présent. J’ai fait de la tyrolienne, du parapente. Je fais des activités artistiques, je vais au restaurant… J’en profite un maximum.

Selon vous, les élus locaux et les acteurs de proximité comme les pompiers, les policiers, les commerçants, peuvent-ils aider à créer une société plus inclusive ?

Je pense que oui. Ils ont un rôle à jouer. Les discours des politiques notamment ne suffisent plus. Il faudrait qu’ils participent à des activités de l’association pour mieux comprendre les choses et mieux nous aider. Peut-être qu’ils réagiront différemment. Les pompiers et les policiers devraient peut-être suivre une formation relative à la maladie d’Alzheimer, pour apprendre à avoir les bons gestes, les bons réflexes. Personnellement, j’ai eu une excellente expérience avec les pompiers, pas aux urgences.

Que faudrait-il faire pour être mieux compris, entendu et respecté dans vos fragilités ?

Il faudrait éduquer les gens, les mettre en situation. Dans ma situation. Pour qu’ils comprennent ce que je vis au quotidien. Il faudrait qu’ils écoutent les personnes malades. Je suis en tout cas toujours prête à témoigner. Témoigner, c’est ce qui me tient en vie, ça me permet de me sentir utile. Et la parole de la personne malade est plus forte que n’importe quoi.