23 décembre 2021
Maladies apparentées : face à l’errance diagnostique

Les personnes touchées par des maladies apparentées à Alzheimer doivent attendre plusieurs années avant que le diagnostic ne soit posé. Cette errance diagnostique est due à plusieurs facteurs.

Les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer doivent faire face à une errance diagnostique plus ou moins longue avant que la pathologie ne soit nommée. La durée estimée entre la première consultation pour les premiers symptômes et le diagnostic oscille entre 3 et 5 ans. Pour les maladies apparentées, cette période serait doublée.

C’est d’ailleurs ce qu’a expliqué Michèle Munckenstrum, atteinte de la maladie à corps de Lewy, lors du colloque organisé par l’association France Alzheimer et maladies apparentées le 11 mai, Et si ce n’est pas Alzheimer, c’est quoi?, consacré aux maladies apparentées.

Michèle a tout d’abord été victime d’accidents ischémiques transitoires (AIT). Il s’agit d’une altération de la fonction cérébrale qui dure généralement moins d’une heure et qui est due à une interruption temporaire de l’apport sanguin au cerveau. «Ces AIT, ça a commencé en 2003, avec des troubles cognitifs, comme des troubles du langage et des troubles de la concentration. J’étais suivie par un docteur à l’hôpital de Strasbourg qui me pensait dépressive. J’ai pris des antidépresseurs, et j’ai pris énormément de poids. J’ai d’ailleurs dû être opérée pour cela. Après quelques années de traitement, il m’a dit qu’il ne pouvait plus rien pour moi et je me suis retrouvée seule, comme une imbécile, avec cette question: “mais qu’est-ce que j’ai?”»

Michèle a ensuite fait un accident vasculaire cérébral en 2013. «Je suis alors prise en charge par le docteur Frédéric Blanc à Strasbourg qui a été à l’écoute et qui a repris mon dossier depuis le début. Le verdict est tombé: maladie à corps de Lewy. Cela a été 10 ans de souffrance et d’errance. J’ai finalement été diagnostiquée à l’âge de 54 ans. C’est grâce à la patience du Pr Blanc et à son écoute que le diagnostic a été posé. Cela a été un réel soulagement pour moi. Je savais enfin ce que j’avais. Avant, on avait pu me dire que je faisais du cinéma, du théâtre… Un jour, le remplaçant de mon médecin traitant a même cru que je voulais un arrêt maladie. Le diagnostic m’a amené vers une autre vie. J’ai des hallucinations, des pertes de mémoire, mais j’ai un traitement et ma maladie est relativement stable.»

Une enquête de terrain

Maître de conférences en sociologie à l’université de Bretagne occidentale, Guillaume Fernandez a étudié l’errance diagnostique. Avec le Pr Armelle Gentric, du CHU de Brest et responsable du CMRR de Brest, ils ont mené une enquête durant 18 mois, de 2012 à 2014, en décryptant les parcours de 15 personnes qui avaient reçu le diagnostic de maladie d’Alzheimer ou de maladie apparentée. Ils ont interrogé les personnes malades et leurs proches, ainsi que les médecins. « On pourrait finalement définir l’errance diagnostique comme une trajectoire qui ne trouve pas son terme, ou le bon terme», explique Guillaume Fernandez.

Plusieurs éléments rendent un diagnostic précoce compliqué. «D’abord, certaines personnes souffrent très tôt d’anosognosie, ce trouble neuropsychologique qui fait qu’elles ne semblent pas avoir conscience de leur condition. À l’inverse du déni, qui est un mécanisme de défense psychologique, cette méconnaissance par l’individu de sa maladie est pathologique et peut refléter une atteinte de certaines aires cérébrales. Cela complique fortement l’auto-diagnostic. Autre problème, l’avancée non linéaire des troubles que l’on peut retrouver dans la maladie à corps de Lewy ou les dégénérescences fronto-temporales. Enfin, la famille peut, par réflexe de protection de ses membres, avoir des difficultés à voir que des choses changent. Tout cela peut engendrer un retard.»

Des médecins eux-mêmes peuvent retarder le diagnostic notamment à cause d’un manque de connaissance ou d’un certain fatalisme. « Des maladies comme la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées impliquent de nombreux intervenants, des spécialistes. Cela suppose un effort d’homogénéisation pour appréhender la maladie et le malade. Sinon, il peut y avoir des tensions et des désaccords entre les acteurs, ce qui renforce le risque d’errance ou de cacophonie diagnostique.» À ces facteurs, il faut ajouter la complexité des maladies apparentées, moins connues de la population générale et même des médecins, généralistes surtout. Ces pathologies peuvent, en outre, se juxtaposer à la maladie d’Alzheimer.

Guillaume Fernandez évoque un dernier élément problématique: la manière dont la maladie s’inscrit dans l’espace social. «L’appellation générique de maladie d’Alzheimer a permis une “acceptabilité sociale ” de ces troubles et une reconnaissance politique mais elle a singularisé un ensemble de maladies autour d’une seule et même étiquette, au prix d’une simplification parfois abusive de situations plus diversifiées.» Pour le sociologue, il est essentiel de nommer les pathologies: mettre des mots sur les maux. «Être dépourvu du nom de sa maladie, c’est ne pas pouvoir y faire face, l’appréhender et l’intégrer à son identité personnelle et sociale.»

Apprendre à passer la main

Pour réduire la durée de l’errance diagnostique, il semble qu’une meilleure formation soit nécessaire, y compris pour les médecins généralistes. «Mais attention, prévient le Pr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale, si c’est une évidence que la solution se trouve dans la formation, ça serait un leurre de croire que cela résoudrait tout le problème. Personne n’a vocation à tout savoir. Le savoir de médecin généraliste, c’est celui de la médecine générale. Pour le reste, il doit identifier quand et à qui passer la main. C’est plus dans ce sens qu’il faut améliorer les formations. Il faut également enseigner aux étudiants le doute, l’incertitude. Ils doivent comprendre que passer la main n’est pas un aveu d’incompétence, mais bien un signe de grande responsabilité.»

Paul Frappé met également en garde contre les diagnostics trop hâtifs, qui pourraient devenir des erreurs de diagnostic. « En fait, il faut trouver le juste milieu, quitte à avoir une période d’incertitude certes difficile à gérer. Nous avons tous vécu des histoires avec des patients avec qui nous sentons que nous sommes passés à côté, comme l’histoire de Michèle Munckenstrum. À l’inverse, nous avons aussi vécu des expériences avec des patients où nous nous sommes dit que nous étions intervenus au bon moment, alors qu’ils étaient dans une impasse. »