13 février 2023
Pénurie de médecins et pléthore de problèmes

Aucune région, qu’elle soit rurale ou urbaine, n’est épargnée par la problématique des déserts médicaux. L’Île-de-France est d’ailleurs devenue le premier désert médical de France. Les conséquences peuvent être dramatiques pour les personnes malades et leurs aidants, et la situation ne va pas s’améliorer dans l’immédiat.

La problématique de la pénurie de médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialisés, n’épargne personne. Elle concerne tous les Français, tant en zone rurale qu’en zone urbaine, tant en métropole que dans l’outre-mer. La situation est telle que des médecins à la retraite reprennent du service, et le stéthoscope.

Quelques chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) illustrent cette problématique, dont ceux relatifs à la densité de médecins généralistes sur le territoire français, qui a chuté entre 2012 et 2021. Elle est passée de 153 pour 100 000 habitants en 2012 à 140 en 2021. Les régions Nouvelle-Aquitaine et Provence- Alpes-Côte d’Azur sont les mieux loties. Tout en bas du classement, on retrouve la région Centre-Val de Loire, avec 107 généralistes pour 100 000 habitants.

Conséquence : les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous peuvent être longs, très longs. Il est de six jours en moyenne sur le territoire français pour un médecin généraliste, selon une enquête de 2018 de la Drees. Il faut compter 50 jours pour un cardiologue, 80 jours pour un ophtalmologue, 21 jours pour un radiologue, 28 jours pour un chirurgien- dentiste…

Selon un rapport sénatorial de mars 2022, reprenant des données actualisées en octobre 2021, 30,2 % de la population française vit dans un désert médical. Ce terme désigne une zone géographique dans laquelle il est très difficile, voire impossible, de se faire soigner par un professionnel de santé en raison de l’absence de médecins à proximité. Ce terme renvoie à une double dimension : une dimension spatiale, liée à la densité de professionnels de santé sur un territoire, et une dimension temporelle, liée au nombre de patients par médecin.

Plus surprenant : la région Île-de-France est désormais classée comme premier désert médical de France, avec 62,4 % de la population francilienne vivant dans une zone rouge, appelée zone d’intervention prioritaire (ZIP).

 

Médecin

Catastrophe en zone urbaine


Parmi les départements d’Île-de-France, celui de la Seine-Saint-Denis est le plus touché. «La situation est très grave», soupire Denise Lauprêtre, présidente de France Alzheimer Seine-Saint-Denis. « Concrètement, la personne malade n’a plus de médecin généraliste ou elle en trouve difficilement un parce que, soit le médecin est parti à la retraite, soit il a déjà trop de patients. Et puis, le médecin ne vient plus à domicile, il fait tout en visio. Ne pas avoir de médecin généraliste complique toute la prise de soins. On en a déjà besoin pour remplir la demande d’APA, d’allocation personnalisée d’autonomie. La CPAM peut intervenir pour proposer des solutions avec des médecins généralistes mais ils ne viendront pas
à domicile. On fait comment avec un couple de 80 ans qui habite le haut d’un immeuble et où l’ascenseur est en panne ? C’est un cercle vicieux. Ces personnes-là n’ont pas les mêmes droits que les autres. »

Quant aux spécialistes, c’est tout aussi dramatique. « Dans le département, on n’a presque plus de kinésithérapeutes, d’or thophonistes… », déplore Denise Lauprêtre. « On a de moins en moins de neurologues aussi. Il faut attendre des mois pour avoir des rendez-vous avec des spécialistes dont l’action est quand même censée ralentir la progression de la maladie. »

La problématique est similaire avec les services d’aide et d’infirmiers à domicile, trop peu nombreux sur le territoire. La présidente de France Alzheimer Seine-Saint-Denis craint également les conséquences de la hausse du prix des carburants, qui pourrait pousser des entreprises à réduire leur périmètre d’intervention. « Je ne vous parle même pas des Ehpad qui n’ont pas de psychologue, pas de médecin, pas de gériatre, pas de kinésithérapeute… Ils sont légion dans le département. »

 

Pas mieux en zone rurale


Danielle Duron, présidente de France Alzheimer Creuse, un département très rural, dresse un constat similaire. « Mon département compte seulement 117 000 habitants et nous avons à peu près 90 médecins généralistes libéraux sur l’ensemble du département, pour ne parler que d’eux. Leur moyenne d’âge est élevée : 54 ans. Ça va encore, à vrai dire, dans mon coin. Quelques jeunes viennent de s’installer mais ils sont déjà débordés. Une jeune médecin généraliste que je connais m’a dit qu’elle avait déjà 1 800 patients. Vous vous rendez compte ? Comment voulez-vous qu’elle suive correctement ses patients ? Ce n’est pas possible. »

Danielle Duron sait très bien de quoi elle parle puisqu’elle a travaillé dans le secteur de la santé pendant 43 ans, en tant qu’infirmière libérale. « J’ai travaillé dans d’excellentes conditions, avec des médecins disponibles. Mais ça s’est fortement dégradé ces dernières années. Depuis que je suis retraitée, c’est bien plus compliqué. On ne peut plus avoir un médecin un vendredi à 19h, il faut forcément passer par les urgences, même si ce n’est pas urgent. Bref, c’est la galère. »

Pour Danielle Duron, les conséquences de la pénurie de médecins, généralistes et spécialistes, sont importantes pour les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée et leurs aidants. « Il faut tout d’abord obtenir un rendez-vous. Puis, concernant les médecins généralistes, tous ne prennent plus le temps nécessaire à la prise en charge de la personne malade. Je connais une personne dont le proche, malade d’Alzheimer, devenait agressif. Eh bien, le médecin généraliste a dit qu’il n’avait plus le temps pour ce patient, qu’il ne pouvait plus le soigner. Il n’a plus de médecin référent maintenant. Quant aux spécialistes, aux neurologues par exemple, il faut aller à Limoges, ce qui peut prendre la journée. Il y a bien des neurologues du département voisin de la Corrèze qui viennent à Aubusson, dans la Creuse. Ça limite les déplacements mais ces neurologues ne sont pas disponibles tout le temps. Tout cela peut avoir des conséquences importantes et dramatiques. Les personnes malades et les aidants finissent par se replier sur eux-mêmes et ne plus aller chez le médecin. »

 

Une réaction trop tardive des pouvoirs publics


Cette problématique de pénurie de médecins va s’aggraver, mettant encore plus sous tension l’équilibre offre-demande. L’offre diminuera puisque le nombre de médecins décroîtra dans les prochaines années, alors que la demande augmentera à cause de la hausse et du vieillissement de la population française, et donc des besoins en santé.

Conscients du problème, les pouvoirs publics n’ont réagi que tardivement. Ils ont développé un plan dénommé « Ma santé », visant notamment à lutter contre les déserts médicaux. Il s’agit, entre autres, d’inciter les médecins à s’installer dans les déserts médicaux via une aide financière, des bourses étudiantes et le soutien à la création de maisons de santé qui regroupent plusieurs professionnels. Autres idées : encourager les nouvelles formes d’exercice médical ou encore libérer du temps médical, en déléguant certaines tâches à d’autres professionnels, comme de permettre aux pharmaciens de vacciner contre la grippe.

Ces actions peuvent avoir un impact, mais il sera limité. La mesure la plus efficace a été le relèvement du numerus clausus, à partir de la rentrée académique 2020-2021. Mais elle ne produira ses effets que dans dix ans, en raison de la durée des études de médecine. La densité médicale ne devrait retrouver son niveau actuel qu’en 2033, selon un rapport sénatorial remis le 29 mars 2022.

Son auteur, Bruno Rojouan, sénateur de l’Allier (Les Républicains, LR), y voit un problème supplémentaire. « Le desserrement du numerus clausus à la rentrée 2020-2021, devenu numerus apertus, ne peut produire pleinement ses effets tant que les capacités de formation des universités sont contraintes », peut-on lire dans son rapport consacré à renforcer l’accès territorial aux soins. « Il faut former plus d’étudiants, ce qui suppose des postes d’enseignants supplémentaires et des aménagements dans les facultés de médecine et des autres sursis pour accueillir ces nouveaux contingents. »

Dans son rapport, le sénateur propose une batterie de solutions pour lutter contre la pénurie de médecins. « L’imagination est le maître mot pour lutter contre la désertification médicale. Plusieurs mesures novatrices pourraient être expérimentées, à l’instar d’une offre de soins itinérante dans les territoires ruraux, sous la forme d’un bus santé – cela a bien fonctionné pour la vaccination contre le Covid, de la mise en place d’un moratoire sur les fermetures de pharmacies pour éviter que ne se créent des déserts pharmaceutiques, de la défiscalisation des permanences de soins dans les zones sous-dotées, de la majoration des droits à retraite au terme de trois ou cinq ans d’exercice dans une zone d’intervention prioritaire et de la simplification des modalités de création des structures de coopération médicale. Les crises doivent être le creuset de solutions ambitieuses, mais simples. »

Bruno Rojouan suggère également une dose de coercition territoriale. « Les médecins sont quasiment les seuls professionnels de santé à disposer d’une entière liberté d’installation. Il me paraît souhaitable d’adapter cette liberté de manière temporaire, le temps que les inégalités territoriales les plus criantes soient résorbées : c’est pourquoi je propose de conditionner l’installation dans les zones sur-dotées à la cessation d’activité d’un médecin exerçant la même spécialité afin de favoriser une meilleure répartition territoriale. »

En attendant les renforts, et face à cette vaste problématique, tant Danielle Duron que Denise Lauprêtre se sentent démunies. Elles tentent de trouver des solutions avec leurs moyens, leurs connaissances et leur réseau. Elles peuvent notamment intervenir en tirant la sonnette d’alarme auprès du dispositif d’appui à la coordination (DAC) censé régler des situations complexes.