3 mars 2022
Zoom sur la conduite automobile

Joël Jaouen, président de France Alzheimer et maladies apparentées, et avant tout, ancien aidant, a dû empêcher son père de conduire sa voiture, pour le protéger, lui et les autres. Cette décision a été très difficile à prendre.

Conduire avec Alzheimer – Joël Jaouen s’en souvient comme si c’était hier. Pourtant, quand il a pris les clés de la voiture de son père pour l’empêcher de conduire, c’était en septembre  2000. « Ça a été un moment très douloureux », lâche- t-il aujourd’hui. « Il m’a fallu 5 ans pour raconter cette  histoire. »

 La famille Jaouen vient du Finistère. Le papa de Joël, Landry, habite alors seul, à Saint-Pol-de-Léon. Sa maman avait accepté d’habiter quelque temps dans un hébergement temporaire à 5 km de là, à Roscoff, suite à un AVC qui avait laissé des séquelles physiques mais pas intellectuelles. « C’était trop compliqué pour ma mère de rester à la maison, les chambres se trouvant à l’étage. »

 Au printemps 2000, la maladie d’Alzheimer s’accélère brutalement chez le papa de Joël, diagnostiqué en 1999. « J’allais le voir tous les jours, chaque matin avant de partir au travail. Je pensais que l’état de ma maman avait provoqué une dépression chez mon papa. J’étais un peu dans le déni mais je savais qu’il avait des troubles. Je le laissais prendre la voiture. Tous les après-midis, il allait rendre visite à ma mère à Roscoff. Puis, on m’a alerté sur le comportement au volant de mon père. Il avait pris un rond-point à l’envers par exemple, ou il ne s’était pas arrêté à un passage pour piétons. L’aidant que j’étais s’est dit qu’il avait une nouvelle décision à prendre. Une décision pour lui, pour moi, pour le monde extérieur. Imaginez qu’un enfant soit renversé… »

 Joël se retrouve face à un mur. Il doit prendre une décision pour protéger son père et les autres.

« Conduire une voiture, c’est un statut. C’est dire que j’existe. Que je suis libre. Empêcher quelqu’un de conduire, c’est aussi d’ailleurs, quelque part, provoquer une étape de plus de la perte d’autonomie. C’était à moi de prendre cette décision. Une décision très lourde. J’ai voulu me faire aider mais je me suis retrouvé seul. Le médecin traitant m’a dit qu’ il ne pouvait rien faire. Il y avait bien une commission à la préfecture qui aurait pu m’aider pour ce genre de situation, mais elle se tenait tous les trois mois. Or ça ne pouvait plus attendre. Il y a un moment où on ne peut plus reculer. »

Joël retire alors, en septembre, les clés de la voiture de son père. « J’ai essayé de lui expliquer mais il ne voulait pas. C’est humain de ne pas l’entendre. Il faut dire qu’il avait encore de grandes périodes de lucidité. Il avait d’ailleurs contacté un mécanicien qui est venu le lendemain matin pour changer le barillet de la clé de contact de la voiture. »

 Si Joël emmène son père tous les jours voir son épouse, la situation reste très tendue. « Ça a été très dur. J’ai rencontré une personne que je ne connaissais pas. Mon père est devenu très agressif. Il courait après moi avec un manche de pioche pour que je lui donne les clés de sa voiture. Ça a été un enfer qui a duré trois semaines, un mois peut-être. Quand je rentrais chez moi, je me cachais pour pleurer. Son énergie agressive a fini par diminuer. Je me souviens qu’au bout d’un mois, il essayait de faire démarrer sa voiture en se tenant devant elle et en appuyant sur la télécommande de la télévision. »

 Quand Joël Jaouen repense à cet épisode avec son père, décédé en 2003, il se rappelle qu’il a entrainé une énorme souffrance. Tous les aidants n’y sont pas confrontés. Parfois, la personne malade peut elle- même se dire qu’elle ne peut plus conduire. Mais Joël Jaouen se dit qu’il faudrait, d’une manière ou d’une autre, soulager les aidants de cette éventuelle souffrance supplémentaire.

À noter qu’une étude Alzheimer et mobilité est en cours et devrait livrer ses résultats en 2022. Elle est menée par la Sécurité routière, Médéric Alzheimer et France Alzheimer.