12 mai 2023
Une barrière de l’âge à neutraliser et un handicap cognitif à reconnaître

L’association France Alzheimer et maladies apparentées milite depuis de nombreuses années pour la suppression de la barrière de l’âge entre handicap et dépendance et pour la reconnaissance du handicap cognitif des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée.

C’est une exception française, et les citoyens concernés s’en passeraient bien volontiers. La France est le seul pays de l’Union européenne à utiliser la barrière de l’âge en lien avec la perte d’autonomie. Avant 60 ans, le citoyen relève du champ du handicap. Passé cet âge, il entre dans celui de la dépendance.

Les plans d’aide, financière, humaine et matérielle, diffèrent en fonction du handicap ou de la dépendance. Et donc, en fonction de l’âge du diagnostic : avant ou après 60 ans.

Une limite d’âge absurde et des troubles cognitifs trop peu pris en compte

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoyait la suppression de cette distinction dans les 5 ans. Et en 2007, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) recommandait également aux pouvoirs publics, dans son rapport annuel, d’engager une démarche de convergence. Depuis, rien n’a changé. En 2023, la barrière de l’âge demeure et elle est à l’origine de traitements discriminatoires dans les dispositifs de compensation.

Il existe effectivement des différences en matière de conditions d’attribution, de couverture et de financement des plans personnalisés. La prestation de compensation du handicap (PCH), attribuée aux personnes handicapées, est ainsi bien plus avantageuse que l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), attribuée aux personnes âgées dépendantes.

En outre, à partir de 60 ans, les personnes bénéficiaires de la PCH « qui remplissent les conditions pour prétendre à l’APA peuvent choisir entre le maintien de la PCH ou le bénéfice de l’APA lors du renouvellement de leur droit », peut-on lire sur le site gouvernemental Mon parcours handicap Ajoutons que la barrière des 75 ans pour le prolongement de la PCH a été récemment supprimée, le 1er janvier 2021. Une personne bénéficiant de la PCH à 59 ans pourra donc toujours l’obtenir à 74 ans et même à 79 ans.

Mais la barrière des 60 ans existe toujours bel et bien, et elle est complètement arbitraire. L’existence-même de ces deux catégories n’a pas de sens : une personne handicapée de moins de 60 ans pourrait donc ne pas être dépendante ? De la même manière, une personne dépendante et âgée de plus de 60 ans pourrait ne pas être handicapée ?

Quant aux critères d’éligibilité pour obtenir la PCH ou l’APA, ils ne sont pas exactement les mêmes, mais ils ont un point commun : ils ne prennent que trop peu les troubles cognitifs en considération.

Jeux d'échec

Des revendications

L’association France Alzheimer et maladies apparentées milite pour la reconnaissance des situations de handicap vécues par les personnes atteintes de troubles cognitifs, quel que soit leur âge. Les critères d’éligibilité de la PCH et de l’APA devraient ainsi plus prendre en compte les troubles cognitifs liés à la maladie d’Alzheimer et aux maladies apparentées.

De manière plus générale, et comme bon nombre d’autres associations, France Alzheimer plaide également pour la convergence des politiques du handicap et de la dépendance et pour la neutralisation de la barrière de l’âge, par le passage d’une approche catégorielle, personnes handicapées ou âgées, à une approche thématique, l’autonomie, avec une compensation accordée en fonction des besoins, et non de l’âge.

Les réponses des pouvoirs publics ne sont guère satisfaisantes

Le monde politique n’est pas insensible à ces questions, qui reviennent périodiquement lors des débats à l’Assemblée nationale. En 2019, la députée du Loiret Caroline Janvier (Renaissance) s’inquiète ainsi de la problématique de la barrière d’âge, en prenant l’exemple de personnes souffrant de problèmes oculaires. La secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées Sophie Cluzel (Renaissance) fournit une réponse plus large, évoquant notamment la suppression de la barrière de l’âge. « La convergence de ces politiques publiques par la levée de la barrière d’âge à 60 ans aurait un impact financier très important, même s’il est difficile à évaluer.

En effet, il y a aujourd’hui 250 000 bénéficiaires de la PCH et 1 300 000 bénéficiaires de l’APA, sachant que les premiers ont une aide en moyenne presque deux fois plus importante que les seconds. Un rapprochement des deux prestations poserait la question de la soutenabilité financière, donc de la participation financière des personnes. »

Trois ans plus tard, Emmanuel Macron (Renaissance) est réélu président de la République et un nouveau gouvernement se met en place après les élections législatives.

Un mois plus tard, en juillet dernier, le député de Meurthe-et-Moselle Thibault Bazin (Les Républicains) pose une autre question relative à la barrière de l’âge en rapport avec la PCH. Estimant visiblement injuste qu’une personne ne puisse pas bénéficier de la PCH et doive se contenter de l’APA, moins avantageuse, quand un handicap apparaît après 60 ans, il demande au gouvernement s’il a « l’intention d’élargir le champ d’application de la PCH en supprimant ce seuil discutable des 60 ans afin de permettre une prise en charge adaptée du handicap quel que soit l’âge auquel le handicap est survenu ».

Mais ce n’est toujours pas à l’ordre du jour de l’agenda de la majorité, à en croire la réponse de Geneviève Darrieussecq (Renaissance), la ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, chargée des Personnes handicapées. « La soutenabilité financière d’une démarche de rapprochement ne pourrait être garantie au regard de l’évolution des finances publiques de notre pays. Cela poserait la question d’une évolution des modalités de participation financière des bénéficiaires voire d’une remise en cause du caractère universel des prestations », a ainsi réagi la ministre.

En d’autres termes : circulez, il n’y a rien à voir. Mais ces réponses ne sont, bien évidemment, pas satisfaisantes. Elles ne le sont en tout cas pas pour le milieu associatif.

Image rassemblement café dans la rue

« Il faut anticiper le vieillissement de la population. Gouverner, c’est prévoir, non ? »

« J’apprécie quand les choses sont transparentes, notamment quand il y a des difficultés financières, mais alors, pourquoi nous associer à des groupes de travail, à plein de démarches, de réunions, pour imaginer des projets qui vont coûter de l’argent ? », s’interroge Benoit Durand, directeur délégué de l’association France Alzheimer et maladies apparentées. « C’est désolant. On crée de l’espoir et ça n’aboutit à rien.

Cela génère de l’incompréhension, de la frustration et, finalement, de la colère. En fait, il faut croire que les pouvoirs publics semblent se satisfaire de la situation. Et en conséquence, c’est de pire en pire chaque jour. »

La loi Grand âge et autonomie a suscité de l’espoir quant à l’instauration d’une prestation autonomie universelle. « Cela signifie, pour nous, pas de barrière d’âge et une prestation complète, aboutie, qui couvre tous les besoins, et qui revoit les critères d’éligibilité et qui revalorise tous les tarifs et montants pour ne laisser aucun reste à charge aux personnes », explique Malika Boubekeur, conseillère nationale à APF France Handicap.

Cependant, maintes fois annoncée lors du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron, cette loi a été autant de fois enterrée. Et depuis le début du second quinquennat du président Macron, le dossier est resté aux oubliettes.

La création de la cinquième branche de la Sécurité sociale pilotée par la CNSA et consacrée à l’autonomie, au cinquième « risque » lié au handicap et à la dépendance due à l’âge, a fait renaître cet espoir. Mais, encore une fois, ce sujet ne semble pas avancer dans le sens voulu par le monde associatif, comme le laissaient présager les réponses de Sophie Cluzel et de Geneviève Darrieussecq.

« Nous l’avions demandée, cette branche spécifique à l’autonomie qui devait notamment participer à supprimer la barrière d’âge, mais ce n’est toujours pas le cas », regrette Malika Boubekeur. « Nous nous retrouvons donc avec une branche dédiée à l’autonomie qui gère deux types de public avec l’âge comme seule barrière. Mais elle n’a plus de sens aujourd’hui.

De plus, si on voulait vraiment l’adapter à une rupture entre un état et un autre, on aurait pu choisir l’âge légal de départ à la retraite : 62 ans aujourd’hui, et 64 ans en 2030. C’est un sujet d’actualité, non ? D’ailleurs, en 2005, quand la PCH a été créée, l’âge de départ à la retraite était de 60 ans.

Mais ce n’est pas ce que nous souhaitons. Nous souhaitons, comme l’article 13 de la loi du 11 février 2005 le stipule, la suppression de la barrière d’âge pour une prestation autonomie universelle, quelle que soit l’origine de la situation de handicap, liée au handicap, à une maladie chronique ou à la perte d’autonomie causée par l’avancée en âge. »

« La création de cette cinquième branche a pu susciter de l’espoir mais pour l’instant, il faut bien avouer que ça ne bouge pas dans le bon sens », déplore Benoit Durand, avant de conclure : « Or la population française ne va faire que vieillir. C’est une certitude, nous le savons tous. Mais si on dit déjà aujourd’hui que tout ce qui devrait être mis en place coûterait cher, qu’en sera-t-il alors demain ? Il faut pourtant anticiper le vieillissement de la population. Gouverner, c’est prévoir, non ? »