6 avril 2021
Un an de crise sanitaire, un an de cauchemar pour les aidants

Six aidants de personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée évoquent leur quotidien, leur calvaire durant la crise sanitaire. Leur tribune est parue le 31 mars dans le quotidien Le Parisien.

Nous nous appelons Annie, Françoise, Nicole, Sophie, Daniel et Henri. Nous venons des quatre coins de la France et nous avons entre 36 et 79 ans. Nous sommes des aidants de personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée. Certains vivant à domicile, d’autres en Ehpad. D’autres encore sont décédés durant la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19.

Pour nous, le 17 mars 2020, soit la date de la mise en place du premier confinement, a été le début d’une période très éprouvante. Notre quotidien a été compliqué, très compliqué, comme pour de nombreux aidants des 1,2 million de personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée en France.

Un cauchemar pour les personnes malades tout d’abord. Nous avons vu nos proches plonger plus vite, trop vite, dans la maladie. Malgré notre dévouement, nous avons assisté, impuissants, à la dégradation de leurs capacités cognitives et motrices. Comme aucun traitement curatif n’existe pour Alzheimer, seuls le lien social et les activités non-médicamenteuses permettent de ralentir la progression de cette fichue maladie. Or, avec les confinements et autres restrictions, les accueils de jour ont longtemps fermé leurs portes, les Ehpad ont limité les visites, les professionnels comme les orthophonistes sont moins intervenus… Ces conditions ont ouvert un boulevard pour Alzheimer.

Et nous, les aidants, avons emprunté une allée parallèle à ce boulevard. Celle de l’épuisement moral et physique, déjà bien réel avant la crise sanitaire.

Cette crise a décuplé notre anxiété et nos difficultés puisque les structures prenant temporairement en charge nos proches vivant à domicile et nous permettant ainsi de souffler ont longtemps été closes. Et comme les diverses aides intervenant à domicile ont pu être suspendues, nous sommes aussi parfois devenus des soignants. Nous nous sommes sentis exténués, et impuissants face à la maladie.

En Ehpad, des professionnels de santé ont tenté de redonner le sourire à nos proches, tristes et désorientés parce qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait : des visites moins nombreuses, le port du masque… Alors, parfois encouragés par ces mêmes professionnels, nous avons, avouons-le, bravé l’interdit. Nous avons retiré notre masque pour faire un sourire à l’être aimé, pris ses mains ou caressé son visage. Parce que le toucher et le regard peuvent être les seuls moyens d’entrer en contact avec l’être cher.

Certains d’entre nous ont aussi été confrontés à des directions d’établissement intransigeantes voire inhumaines en n’organisant pas ou peu de visites, ou en les organisant mal. Des visites ont pu ressembler à des parloirs de prison. Nos proches n’ont pas toujours été traités dans la dignité et le respect.

Certains d’entre nous vivent, en plus, avec la culpabilité d’avoir confié son proche à un Ehpad, ou à un hôpital pour une infection bénigne. Des structures en lesquelles nous avions confiance et dans lesquelles nos proches sont décédés durant la crise sanitaire, seuls, sans les leurs. C’est d’une violence inouïe, vous savez, de ne pas dire au revoir à l’être aimé, à son père adoré ou à son mari après 55 ans d’amour et de complicité. Ça nous marquera à jamais tant c’est traumatisant.

Nous avons fait face comme nous le pouvions, avec nos moyens, pour que notre proche aille le mieux possible. Nous avons pu baisser les bras. Certains ont pleuré ; d’autres ont appelé à l’aide. Certains ont pensé au suicide ; d’autres, faute de répit, sont passés à l’acte, dans une indifférence quasi-générale.

Nous essayons de tenir le coup grâce à un sourire, un geste tendre, un visage qui s’illumine. Nous nous raccrochons à des photos et des souvenirs. Durant cette crise sanitaire, nous avons aussiobtenui le soutien de notre entourage ou d’associations comme France Alzheimer et maladies apparentées qui a mis en place un dispositif de soutien et d’écoute de la souffrance des aidants. Rien qu’une oreille attentive, ça met du baume au coeur.

Nous ne cherchons pas de félicitations. Surtout pas. Nous avons endossé notre rôle d’aidant par amour pour notre mère ou notre père, pour notre épouse ou notre époux. Mais nous nous disons que nous devons témoigner pour que notre souffrance et nos difficultés vécues pendant cette crise sanitaire, ainsi que celles de nos proches, soient entendues, pour que des solutions soient trouvées pour améliorer notre quotidien. Parce que ce que nous avons traversé n’est pas tolérable, et ne doit pas se répéter.

Une tribune de Françoise Capdepuy, Henri Dadon, Nicole Guidicelli, Sophie Guilloteau, Daniel Monié et Annie Piquot.

Propos recueillis par Laurent Dupuis, de l’association France Alzheimer et maladies apparentées.