20 février 2023
Les remèdes du Dr Frappé

Pénurie de médecins – Président du Collège de médecine générale et médecin généraliste à Saint-Étienne, Paul Frappé évoque les causes de la pénurie de médecins généralistes et des pistes pour la pallier.

La pénurie de médecins touche également les généralistes. Les chiffres sont inquiétants. 11 % de Français âgés de plus de 17 ans, soit presque 6 millions de citoyens, n’ont pas de médecin traitant attitré, selon un rapport du Sénat de mars 2022. La proportion grimpe même à 20 % dans la tranche 17-30 ans. Autre statistique alarmante : 45 % des généralistes sont en situation d’épuisement professionnel.

Le rôle du médecin généraliste est pourtant essentiel, notamment pour les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée, ainsi que leurs  . « Il est incontournable pour la continuité des soins, le suivi au long cours », souligne Paul Frappé, qui connaît très bien cette problématique puisqu’il préside le Collège de médecine générale, et qu’il est médecin généraliste dans une maison de santé à Saint-Étienne.

Avant d’évoquer les solutions, quelles sont les causes de cette pénurie de médecins ?

Elles sont multiples. On se dit spontanément que c’est dû au numerus clausus. C’est clair que ça a eu un rôle, avec un nombre trop faible de médecins à la sortie des études. Mais d’autres facteurs ont joué. Je pense notamment à l’offre de médecine générale qui s’est diversifiée. Nous avons beaucoup plus de métiers avec un diplôme de médecine générale. Plein de sous-spécialités sont apparues : des neuro-pédiatres, des neurogériatres, des pédopsychiatres… Des médecins vont aussi exercer dans les systèmes d’information de l’hôpital, à l’assurance maladie, dans le journalisme…

On entend parfois des critiques, visant les jeunes médecins notamment, qui travailleraient moins que leurs aînés.

On cherche des boucs-émissaires à cette pénurie, notamment les jeunes ainsi que les femmes, et il faut tordre le cou à certaines idées reçues. L’évolution de la société veut que dans les couples, les deux travaillent aujourd’hui. Et puis, un jeune installé peut aussi vouloir avoir une vie, manger avec ses enfants le soir… C’est normal. Personnellement, ça ne me dérangera pas, quand je n’aurai plus d’enfants à la maison, de travailler jusqu’à 21h et de rentrer à temps pour le film du soir. Mais dans notre société, de manière générale, le travail n’a plus la même perception aujourd’hui, même s’il participe à l’épanouissement de chacun.

Notre métier reste passionnant. Personne n’a fait médecine sans idée humaniste là-derrière, sans trouver de satisfaction dans sa relation avec ses patients. J’ajouterais aussi qu’une récente étude a démontré que les jeunes médecins généralistes travaillent plus,  réalisent plus d’actes, que leurs collègues âgés quand ils étaient jeunes. Après, il y a 40 ans, il y avait plus de concurrence aussi.

Quelles solutions peuvent être mises en place pour pallier cette pénurie ?

Alors, là aussi, elles sont multiples. Mais certainement pas ce qui est parfois présenté comme la solution- miracle, le grand classique des repas de famille : la coercition. On dit que l’État devrait imposer l’installation, la répartition des médecins sur tout le territoire. J’invite les patients et les politiques qui plaident pour la coercition à bien analyser la situation. Cela peut avoir un impact non voulu pour certains territoires qui sont, eux, bien pourvus en généralistes, comme à Saint-Étienne d’ailleurs, où il faudrait en retirer pour les installer ailleurs, s’il s’agissait de coller à la moyenne nationale. En fait, le problème, ce n’est pas tant la répartition sur le territoire, mais le manque de médecins.

Par contre, on pourrait agir sur la facilitation à l’installation, sans jouer sur des leviers qui laissent croire que les médecins sont vénaux. Tout d’abord parce que cela pourrait créer de nouvelles inégalités territoriales, parce que les territoires les plus riches proposeraient plus que les aides nationales. En fait, globalement, ça ne marche pas, ça n’attire pas. Nous avions étudié les petites annonces dans le secteur et nous avons remarqué que les avantages financiers n’avaient que peu de poids. Les annonces qui fonctionnaient bien, c’était quand tout était clair. Le médecin n’a pas besoin de cadeau, du prêt d’un bateau d’un maire comme on a pu lire dans la presse, mais d’une installation simple.

« Une autre idée, et cela peut paraître contre-intuitif, c’est de proposer une éventuelle porte de sortie au médecin généraliste. Il ne faut pas bloquer sa désinstallation. »

 

Un autre levier concerne, j’en parlais, les sous-spécialités du métier de médecin généraliste. Sur les quelque 100 000 personnes inscrites à l’Ordre des médecins, même pas la moitié fait de la médecine générale dans le sens où l’entend la société. Il faudrait peut être intervenir. Un médecin que l’on forme et qui fait finalement de l’épilation laser et pas de soin de médecine générale comme l’entend la société, n’est-ce pas dommage ? Faut-il un généraliste pour faire de l’informatique médicale dans un CHU ?

Il faudrait une réflexion à ce sujet. Il faudrait déjà y voir plus clair. C’est trop flou aujourd’hui. Pour avancer et trouver les bonnes solutions, et ainsi répondre aux besoins de la population, il faut déjà un tableau de bord fiable.

La promotion de maisons de santé, de communautés professionnelles territoriales de santé, où des professionnels de santé se regroupent et partagent les frais, n’est-ce pas aussi une bonne idée ?

Oui, c’est vrai, cela peut attirer des candidats, des médecins. Les pouvoirs publics pourraient soutenir davantage ces initiatives. Après, certains médecins veulent également exercer seuls. En fait, que les médecins travaillent seuls ou dans une maison de santé, ils ont surtout besoin de ne pas se sentir isolés. Ils ont besoin de faire partie d’un réseau, d’une communauté.

La mesure qui pourrait produire le plus d’effets, c’est le relèvement et la modification de l’essence-même du numerus clausus à partir de la rentrée académique 2020-2021.

Oui, mais nous n’en verrons les effets que dans quelques années. La vague de nouveaux médecins généralistes ne va pas arriver du jour au lendemain. Mais est-ce que cela va suffire pour répondre aux besoins de médecine générale ? Peut-être, je l’ignore.