11 mai 2021
Les moins de 65 ans face à la maladie

La France compte entre 20 000 et 32 000 personnes qui ont reçu le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée avant 65 ans. Si ce nombre est infime par rapport au 1,2 million de personnes malades en France, l’impact sur la vie familiale et professionnelle est majeur. Des témoignages de malades sont en cours de publication sur notre page Facebook.

Les préjugés ont la dent dure. Et il ne faudrait pas en créer de nouveaux, notamment quand il s’agit de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. Parmi le 1,2 million de personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée en France, entre 20 000 et 32 000 ont été diagnostiquées avant 65 ans. Et contrairement à ce qui peut être véhiculé, ce nombre ne semble pas augmenter. « Cette fourchette est large mais elle est stable. Il n’y a pas plus de malades jeunes qu’avant », assure le Pr Florence Pasquier, neurologue au CHU de Lille et directrice du CMRR de Lille-Bailleul. Denise Strubel, neurologue, gériatre, et vice-présidente de l’association France Alzheimer Gard, acquiesce : « Je ne pense pas non plus qu’il y ait plus de malades jeunes qu’avant, ni de mon expérience de terrain, ni de la nomenclature existante ».

Errance diagnostique

Un problème majeur que rencontrent les malades jeunes : les erreurs de diagnostic, menant à une errance plus longue. « Sur les 10 dernières années, le délai entre le premier symptôme et la première consultation dans un centre spécialisé reste de 4 ans », remarque Florence Pasquier. « C’est notamment dû au fait que les malades jeunes vont naturellement puiser plus longtemps dans leur réserve cognitive pour compenser les troubles et donner le change, et on ne va pas voir que la maladie s’est installée. C’est également dû à une expression de la maladie différente par rapport aux personnes plus âgées. » Les premiers troubles chez les malades jeunes ne sont pas forcément des problèmes de mémoire. « Un tiers des malades jeunes commencent avec d’autres troubles que les pertes de mémoire, comme des troubles du comportement, du langage ou encore des troubles visuels », glisse le Dr Strubel.

« On confond aussi parfois encore aujourd’hui les malades jeunes avec des personnes ayant des pathologies psychiatriques, des dépressions. Même des médecins généralistes avaient et ont encore du mal à penser que ce soit d’ordre neurologique », relève le Pr Pasquier. Autre élément à prendre en compte : la moitié des malades jeunes ont une maladie apparentée, et très souvent une dégénérescence fronto-temporale (DFT), l’autre moitié sont diagnostiqués Alzheimer. « Dans la maladie d’Alzheimer, sur la totalité des personnes malades, moins de 1 % sont de forme génétique. Chez les jeunes, c’est de l’ordre des 10 % », souligne le Dr Strubel. Il apparaît également que la maladie progresse plus vite. « Les scores cognitifs et mnésiques déclinent plus rapidement chez les malades jeunes que chez des sujets âgés », relève le Pr Pasquier. « C’est dû à deux choses. Tout d’abord, les malades jeunes consultent généralement plus tard et ils ont déjà enclenché un déclin. Deuxièmement, ils compensent très bien et très longtemps leurs troubles avec leur réserve cognitive, mais cela n’empêche pas les lésions d’avancer rapidement. Par contre, les malades jeunes vivent plus longtemps. » « Après, ça, ce sont des données statistiques », complète Denise Strubel. « La variabilité de l’évolution existe à tous les âges. En fait, comme souvent avec Alzheimer, même s’il existe des similitudes, un cas n’est pas l’autre. »

Un impact énorme sur la famille et le travail

Les conséquences sur la vie professionnelle et familiale sont majeures. Pour Judith Mollard-Palacios, il est important que le système familial ne se fige pas, que des projets soient imaginés. « Les mouvements à l’intérieur de la famille doivent se poursuivre. Les enfants doivent s’autoriser à quitter le bateau, tout en accompagnant le parent malade et l’aidant. Il faut trouver un nouvel équilibre en intégrant cette nouvelle donnée. » La question de la sexualité va également se poser. « La vie intime en est très souvent interrompue. Parce que le conjoint aidant devient une figure d’accompagnement, maternelle ou paternelle. Ce n’est pas facile pour la personne malade. Elle souffre de cet éloignement du conjoint aidant.

Autre problème : le parcours est moins fléché pour les malades jeunes. La question de l’accompagnement et celle, à terme, de l’entrée en Ehpad est également plus compliquée. Il faudra notamment demander une dérogation pour des structures habituées à accueillir des personnes de plus de 60 ans. Et les structures ne sont pas toujours adaptées aux malades jeunes. Pour Judith Mollard-Palacios, les malades jeunes et leurs aidants doivent alors aller chercher de l’aide, là où elle est disponible. Des aides permettant aux personnes malades de déposer leurs émotions, et à toute la famille de faire de même. L’association France Alzheimer et maladies apparentées propose ainsi des suivis personnalisés pour les malades jeunes, ainsi que des groupes de parole.

Elle organise, en outre, un programme construit sur le modèle de l’éducation thérapeutique du patient destiné aux personnes en début de maladie, et où se retrouvent bien souvent des malades jeunes. « Le suivi personnalisé est essentiel », assure Sylvie Kihlgren, psychologue en région parisienne. « Il permet au binôme formé par le psychologue et le bénévole de France Alzheimer de répondre à tout un tas de questions venant de la personne malade, des aidants, et de toute la famille. Cela permet d’apporter des solutions concrètes aux familles qui peuvent poser plein de questions : sociales, juridiques, financières… L’expérience nous montre que ce sont surtout les aidants qui ont besoin d’être soutenus, de décharger la pression qu’ils ont sur les épaules, de parler de leur émotions… Des personnes malades font également appel à moi pour exprimer leurs douleurs et leurs angoisses, pour évoquer des problèmes relationnels aussi, parce qu’ils deviennent de plus en plus dépendants. » Sylvie Kihlgren insiste : « C’est un dispositif précieux, efficace, parce qu’il replace directement la personne malade au centre des décisions. Cela lui redonne la parole, de l’importance. On y aborde aussi des tas de questions : Comment en parler aux enfants ? Aux amis ? Comment les placer dans ce puzzle ?