27 janvier 2020
La vie difficile des aidants au travail

Paloma est aidante de son père. Un statut qui n’est pas facile à concilier avec une vie professionnelle.

La France compte entre 8 à 11 millions de personnes soutenant un proche en perte d’autonomie pour des raisons liées à l’âge, à un handicap, à une maladie chronique ou invalidante. D’après le baromètre 2019 de la Fondation April et l’Institut BVA, 61% de ces aidants ont un travail.

Parmi ces aidants en activité, Paloma. Cette habitante de Vincennes (Val-de-Marne), âgée de 48 ans, est aidante de son père.

« C’est la course tous les jours. J’aide mes parents qui habitent Paris », explique Paloma. « Mon père a 85 ans, il a été diagnostiqué Alzheimer en juillet dernier mais la maladie était déjà pas mal avancée. Mon père vit avec ma mère qui a 82 ans et qui est diminuée physiquement. Elle a beaucoup de mal à se déplacer et elle ne peut aider mon père. »

La situation de Paloma se complique parce qu’elle est, pour ainsi dire, l’unique aidante de son père. « Nous avons peu de famille en France. Notre famille est pour ainsi dire éclatée. Ma sœur habite en Espagne et c’est très compliqué. Elle essaie de prendre sa part mais ce n’est pas la même chose d’être à 20 minutes qu’à 2000km. Je fais tout : le dossier pour l’APA, les rendez-vous médicaux, l’accueil de jour, la paperasse… Je suis tout le temps dans les papiers. C’est beaucoup de travail. Il y a toujours quelque chose à faire. Je prends en charge un 2e foyer, et la gestion de la maladie. »

Et à côté de cette vie d’aidante, il y a la vie professionnelle. « Je suis en transition professionnelle en ce moment. Je me lance dans un autre projet. J’ai signé une rupture conventionnelle de départ avec ma précédente entreprise où j’avais un poste à responsabilités, mais cela n’a rien à voir avec mes parents. Mais il est aussi clair que c’était difficile de concilier les deux, vie professionnelle et vie personnelle. Il y a les imprévus, les urgences à gérer parce que je suis aidante seule, les congés que je prends à la dernière minute… J’étais très transparente avec l’entreprise et mes collègues qui, disons, s’adaptaient à la situation. Je n’ai jamais eu de réflexion, mais à vrai dire, je dirais que c’était plutôt de l’indifférence. On ne m’a par exemple pas du tout parlé au travail des congés pour les aidants. Ça, je l’ai appris auprès de l’association France Alzheimer. D’après moi, l’humain dans l’entreprise a dévalué de façon rapide et violente. De manière insidieuse. Et pourtant, je travaillais dans le culturel. »

Paloma peut heureusement compter sur son entourage pour trouver des moments de répit. « J’ai la chance d’être très bien entourée. J’ai beaucoup de soutien de la part de mes amis. Ils m’aident à compartimenter ma vie. Ils prennent de mes nouvelles et ils essaient aussi de me parler d’autre chose. Ils m’aident à me changer les idées. »

L’aide, Paloma l’a également trouvée auprès de l’association France Alzheimer. « J’ai notamment suivi la formation des aidants. C’est une excellente formation. J’ai appris beaucoup de choses. »

Malgré ces soutiens, Paloma émet une crainte. « Cela a été dur pendant un an et cela ne s’améliore pas. Je n’ai pas le temps de me consacrer à mon nouveau projet professionnel. J’ai peur de m’épuiser. J’en ai parlé avec ma sœur. Nous songeons à placer nos parents, peut-être bien en Espagne. Nous en avons parlé à notre mère. Elle a du mal à l’accepter mais elle l’entend. »

L’avis de l’expert

Pour Thierry Calvat, président de Jurisanté et cofondateur du cercle Vulnérabilités et Société, il ne faut pas tout voir en noir et blanc. « Certaines entreprises font des choses. D’autres pas. Je dirais surtout que la majorité des entreprises ne font rien de visible. Certaines mettent aussi des dispositifs en place sans en faire la publicité parce que c’est naturel pour elles d’aider les aidants. »

Certains projets inspirants mis en place par des entreprises sont d’ailleurs décorés par le Prix Entreprise et Salariés aidants. « Là où les entreprises injectent une dimension d’aidant dans l’entreprise-même, les dispositifs d’aide fonctionneront. Mais si ce n’est pas ancré dans une politique d’entreprise, si le dispositif sort de nulle part, ça ne marchera pas », glisse Thierry Calvat, co-auteur avec Serge Guérin du livre Le droit à la vulnérabilité. Manager les fragilités en entreprise (éditions Michalon, 2011).

Notre interlocuteur relève d’ailleurs l’intérêt pour les entreprises à agir, avec un simple exemple. Plusieurs études montrent qu’une politique d’entreprise en faveur des aidants permet d’améliorer le climat social, la productivité, l’engagement des collaborateurs et l’attractivité de la marque, mais aussi de réduire l’absentéisme et le turn-over.

Le rôle d’aidant a aussi des effets bénéfiques pour les aidants au travail, en termes d’empathie, d’écoute, de prise de recul et d’organisation. Des bienfaits qui peuvent également être des atouts pour les entreprises.

Face à ces constats, l’association France Alzheimer et maladies apparentées se mobilise pour mieux communiquer pour favoriser un changement de regard sur les aidants en activité professionnelle, agir sur les conséquences financières d’une éventuelle suspension de travail et favoriser la continuité de carrière des aidants, favoriser la bonne santé au travail et répondre au besoin de temps en permettant le répit de l’aidant, et encourager les entreprises à réfléchir aux moyens de mieux accompagner les salariés aidants.