29 mai 2020
Fin de vie et deuil en ces temps de confinement.  Quel accompagnement pour les personnes malades d’Alzheimer et les proches aidants ?

Ce que les familles de personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer ont vécu, dans le cadre du Covid19, a été particulièrement grave.  Elles ont d’abord appris que les résidents seraient confinés seuls dans leur chambre, ne recevraient pas de visites, ne pourraient être accompagnés dans leurs derniers instants, et que les rituels funéraires ne pourraient avoir lieu en présence des familles. Même si elles ont compris les raisons sanitaires de ces décisions, elles en ont ressenti la brutalité, et se sont inquiétées de la manière dont leur parent âgé, fragile parfois à l’extrême, pouvait vivre une telle rupture avec son rythme de vie et ses proches.

Une levée de boucliers de toutes parts, pour dénoncer l’inhumanité de ces mesures, a abouti à un assouplissement. Les Ehpads ont finalement autorisé la visite très encadrée d’un membre de la famille à la fois, et l’accompagnement des résidents en fin de vie par un ou deux proches.

Ne pouvant appliquer un confinement strict en chambre – car les résidents n’en comprenaient pas l’enjeu – les équipes les ont laissé déambuler à l’intérieur de l’unité protégée. Il semble que ce sont surtout les proches qui ont souffert de cet interdit de contact, lorsqu’on sait à quel point le contact tactile est souvent la seule manière de maintenir la relation.

Quant à la veillée mortuaire, elle n’a pu avoir lieu, car les soignants ont reçu l’ordre d’une mise en bière immédiate, dès le décès, sans toilette préalable. Un geste que beaucoup ont eu une peine infinie à faire.

Enfin les funérailles ont eu lieu presqu’à la sauvette, avec une ou deux personnes autorisées, puis une vingtaine. Elles n’ont pu être l’occasion d’un rassemblement familial et amical, comme il est de tradition de le faire, depuis la nuit des temps, et partout dans le monde.

« Je m’en veux beaucoup d’avoir laissé ma mère partir toute seule, sans avoir pu lui dire au revoir, d’avoir appris que son corps avait été jeté dans un sac, puis mis dans un cercueil qui a été emmené dans un hangar à Rungis. Je n’ai pas pu l’accompagner ni assister à ses obsèques » dit cet homme de 60 ans qui ne se remet pas de cette histoire, qui s’est déroulée dans les tous premiers temps du confinement. Quand des mesures drastiques ont été prise, pour des raisons sanitaires, mais sans aucune considération pour le drame humain que cela allait engendrer. Il éprouve une colère dont la violence est à la hauteur de celle qu’il a ressenti. Il n’arrive pas à se pardonner d’avoir abandonné cette mère.

« La directrice de l’Ehpad où ma mère s’est éteinte du Covid m’a appelée quand elle a senti que ma mère allait mourir. Elle m’a autorisée à venir. Quand j’ai vu ma petit maman si frèle dans son lit, avec ses grands yeux fixés sur moi, je n’ai pu résister. Je me suis approchée et je l’ai prise dans mes bras. J’ai vu que la directrice me faisait signe de reculer, mais je suis restée là, serrant ma mère contre moi. J’ai vu que la directrice avait des larmes dans les yeux. Elle m’a laissé dire au revoir. Puis elle m’a fait signe de me retirer. Sur le pas de la porte, elle m’a dit qu’elle n’avait pas eu le cœur de m’empêcher. Je l’ai remerciée. Je n’ai pas attrapé le Covid, et aujourd’hui je suis infiniment reconnaissante à cette femme pour son humanité »

Ces deux témoignages illustrent deux vécus bien différents. Mais ils sont représentatifs de centaines de situations similaires. Les proches qui n’ont pas pu accompagner, dire au revoir à un parent mourant, éprouvent une culpabilité douloureuse, un chagrin profond. Ceux qui, pour une raison ou une autre, ont pu braver l’interdiction des visites, dire les mots, parfois accomplir les gestes qu’ils sentaient devoir faire, sont plus apaisés.

Quoiqu’il en soit, familles, résidents et aussi équipes soignantes, qui se culpabilisent elles aussi de n’avoir pu accompagner dignement leurs résidents, ont vécu pour reprendre les mots de l’un d’entre eux « un cauchemar collectif. »

Le contexte de ce confinement va laisser des traces profondes. Dès le début, je me souviens de l’intervention de Boris Cyrulnik sur France Inter : « toucher à ces rites immémoriaux que sont l’accompagnement et les funérailles aura de graves conséquences. On peut craindre des dépressions post-confinement, des deuils impossibles à faire, une culpabilité rampante qui se paiera de conduites d’échec et de dépressions au long cours. »

Et récemment les psychologues ont averti : « la seconde vague sera psychiatrique. »

Comment aider toutes ces familles en deuil ?
Je suggère ici – outre l’aide psychologique classique d’écoute ou de groupes de parole qui permettent d’exprimer son chagrin, sa culpabilité, sa colère – de leur proposer d’avoir recours à un rituel de deuil différé, où la dimension symbolique est essentielle.
La fonction du rite est d’apaiser.
Trois choses caractérisent un rite : il faut un temps, un lieu, une organisation de symboles.

Peut-on suggérer à une famille de choisir un temps, sans doute quand les rassemblements seront autorisés, en invitant proches et amis à se réunir en mémoire du défunt, un lieu, par exemple au cimetière mais on peut aussi organiser cela dans une maison de famille, une organisation de symboles : une photo du défunt, une grande bougie. Puis inviter ceux qui le souhaitent à témoigner comme ils l’auraient fait aux obsèques, les enfants à déposer une bougie, pourquoi pas une cérémonie religieuse avec une homélie, ou un discours, puis un repas tous ensemble.

Chaque famille peut inventer son rituel dont la fonction est de permettre le partage des émotions mais surtout l’hommage rendu au défunt et la reconnaissance de sa vie, de son œuvre, de ce qu’il a laissé aux vivants.

Le fait que ce rituel soit différé dans le temps ne change rien à son impact sur les vivants. Au contraire, cela peut permettre de « faire son deuil » et cela atteste du fait que dans notre humanité, tout être humain a droit à ce dernier hommage.