18 septembre 2020
« Face au risque d’une deuxième vague, la dimension humaine doit l’emporter »

Face aux nouvelles suspensions des visites en Ehpad, décidées à titre préventif dans certains établissements, France Alzheimer et maladies apparentées renouvelle ses craintes et son engagement auprès des personnes malades et de leurs familles.

Depuis le début de la crise sanitaire, nous avons à plusieurs reprises alerté le gouvernement sur les conséquences d’un confinement généralisé et prolongé pour les personnes atteintes de troubles cognitifs. En effet, l’isolement, l’absence d’activités physiques adaptées et de stimulation cognitive ont eu de lourdes conséquences chez les personnes malades comme l’apathie, une accélération du déclin cognitif, une perte de repères dans l’espace et dans le temps et des troubles du comportement.

Le traumatisme est également lourd pour les proches aidants. « Quand j’ai appris que je ne pouvais plus aller voir ma mère en Ehpad, j’ai été consternée. Le traumatisme a été aussi fort que lorsque j’ai appris qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer. » explique Martine Bou, aidante de 68 ans et présidente de France Alzheimer Essonne. « Au début, j’ai eu du mal à comprendre que je ne pouvais plus aller la voir. Je me suis dit qu’il y allait avoir une répercussion sur sa santé. J’avais plus peur de l’impact du confinement sur son psychisme que du virus lui-même. Je me demande comment elle sera à la fin de la crise. J’ai peur que la maladie s’amplifie, que les symptômes s’accélèrent. »

 « Mes craintes se sont malheureusement confirmées » nous a également confié Martine Bou. « Après ces semaines de confinement, ma mère s’est enfermée irrémédiablement dans son passé. Elle peine à me reconnaître et dans ces instants où elle parvient à voir en moi sa fille, elle ne comprend pas pourquoi je porte un masque, pourquoi je ne l’embrasse pas. C’est à chaque fois, des instants déchirants dont je ne me remets pas. »

 Par ailleurs, pour Joël Jaouen, Président de France Alzheimer, « nous n’avons pas été entendus lorsque nous avons demandé à ce que les personnes malades bénéficient clairement des assouplissements aux conditions de sortie durant le confinement, comme cela fut le cas pour d’autres publics spécifiques. Et c’est là tout l’enjeu en cas de 2ème vague et d’un reconfinement en établissement ou généralisé : il est vital de prendre en compte les spécificités liées à la maladie d’Alzheimer et d’entendre la détresse des familles lorsqu’elles dénoncent l’isolement de leur proche, la rupture du lien familial et leurs conséquences désastreuses. »

Entre sécurité sanitaire et maintien du lien familial nécessaire aux familles, l’urgence est à l’accompagnement des professionnels et acteurs de terrain pour que le reconfinement au sein de l’établissement soit la dernière voie explorée, faute de ne pouvoir faire autrement. Le renforcement des recommandations nationales, du niveau d’encadrement et du matériel disponible doivent être une priorité afin de soutenir les directeurs d’établissements et les professionnels de santé sur le terrain et leur permettre de répondre, en toute sécurité et lorsque la situation le permet, à cet impératif. Des initiatives locales ont vu le jour durant la première période de la crise sanitaire et ont permis de préserver de nombreuses personnes des conséquences de l’isolement. Il est urgent de les valoriser et d’appuyer leur déploiement.

Nous connaissons les contraintes des établissements concernés et le manque de soutien dont ils souffrent. Nous demandons néanmoins que la détresse des familles concernées, et qui a été exacerbée ces derniers mois, soit enfin entendue, afin qu’elles n’aient pas à revivre des situations traumatisantes.

De son côté, Brigitte Bourguignon, Ministre déléguée à l’autonomie, a annoncé vouloir « éviter un nouveau confinement généralisé » au sein des Ehpad, compte tenu des conséquences parfois irréversibles d’une telle décision. Un positionnement soutenu également par le Comité Consultatif National d’Ethique, qui rappelle dans son avis du 30 mars qu’un « renforcement des mesures de confinement pour les résidents des EHPAD et des USLD, voire des mesures de contention pour ceux dont les capacités cognitives ou comportementales sont trop altérées pour qu’ils puissent les comprendre et les respecter, ne saurait être décidé de manière générale et non contextualisée, tant la situation des établissements diffère. Le CCNE rappelle vivement que l’environnement familial ou amical dont les résidents ne peuvent plus momentanément profiter est, pour nombre d’entre eux, le lien qui les rattache au monde extérieur et leur raison essentielle de vivre, comme en témoignent de façon unanime les professionnels de terrain. Les en priver de manière trop brutale pourrait provoquer une sérieuse altération de leur état de santé de façon irrémédiable et même enlever à certains le désir de vivre. La prise de conscience de cette situation est aussi de nature à causer à leurs proches une souffrance majeure à laquelle il faut être particulièrement attentif. »

Le Professeur de neurologie à l’Université de Poitiers, Roger Gil, directeur de l’Espace de réflexion éthique de Nouvelle-Aquitaine, a plaidé et souligne encore avec force la nécessité d’organiser des visites avec des mesures barrières strictes auprès de résidents dont la santé est compromise par l’isolement : « Que faut-il faire pour bien faire ? Dans ces situations, nous avons le devoir de rechercher le bien et de renforcer ce que nous avons d’humain. C’est cette quête qui doit régler les conflits de valeur. »

Nous rappelons que sa structure a été particulièrement sollicitée pendant le confinement par les professionnels des Ehpad et les proches aidants de personnes malades d’Alzheimer. Tous s’interrogeaient alors sur les conséquences de cette solitude forcée, de cet isolement contraint.

Les réponses sont désormais connues.  Plus que jamais nous restons mobilisés pour être le porte-parole des familles sur ce sujet.