22 mars 2022
Ehpad : vers une réflexion éthique et concertée

Prendre des décisions pour protéger une personne malade dans un Ehpad peut être nécessaire. Mais se pose alors la question des libertés et des droits. Entretien avec un directeur de quatre établissements dans le Loir-et-Cher, Pierre Gouabault, qui a lancé le débat à ce sujet.

Ça s’agite dans le couloir du bureau de Pierre Gouabault, directeur de quatre Ehpad dans le Loir-et-Cher. Le rebond de la crise sanitaire est de nouveau parvenu à perturber une quiétude toute relative.

Les journées du directeur sont interminables, mais il a trouvé le temps d’écrire et publier son livre Les aventuriers de l’âge perdu (Edition Plume d’éléphant). Dans cet ouvrage, il a voulu prendre de la hauteur et tirer les enseignements de cette crise sanitaire qu’il définit davantage comme « une crise de nos humanités ».

La question des libertés des résidents taraudait déjà le directeur avant la crise sanitaire. Il avait créé des cafés des familles et mis en place des espaces de réflexion, notamment à ce sujet. Quand une personne se trouve à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, elle se retrouve bien souvent dans un Ehpad. Un lieu où il peut être question de privation de liberté dans un but de protéger la personne malade. Mais cette volonté de protection peut aussi devenir une atteinte aux droits, voire de la maltraitance. L’équilibre peut être difficile à trouver.

Les résidents sont au centre de la réflexion menée dans les quatre établissements dirigés par Pierre Gouabault. « Il s’agit de définir les champs et les valeurs que nous souhaitons promouvoir dans nos établissements. L’Ehpad est un habitat regroupé et cela pose la question du vivre ensemble. Nous avons souhaité, à travers l’instauration d’un comité éthique au début de la crise sanitaire, interroger la question de la liberté de déplacement. Si elle était initialement posée autour de la question de la fermeture des Ehpad au plus fort de la crise sanitaire, nous avons décidé de prolonger l’existence de ce comité sur la façon dont cohabitent des personnes âgées qui n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes attentes, au quotidien. »

 Ce travail est réalisé avec les résidents, les familles et le personnel. « Le mythe de l’Ehpad pot-pourri, généraliste, où l’on mélange les personnes âgées en grande perte d’autonomie et des personnes autonomes, devrait être révolu. L’accompagnement doit être différent en fonction des besoins. Cela suppose une organisation et des approches différentes, avec des parcours de soins et de vie adaptés. C’est ça aussi, respecter nos résidents. »

 L’idée est donc de ne pas apporter de réponse univoque même s’il faut aussi des temps pour réunir tous les résidents, afin de garder l’esprit d’un lieu de vie.

Dans le même esprit, la prise de mesures comme la contention fait l’objet d’une réflexion globale, et spécifique à chaque cas. « Concernant la contention, il existe une ré flexion éthique annuelle à ce sujet. Même la question de fermer à clé une unité, même moi, ça m’interroge. Chez moi, on ne ferme pas une porte à clé. C’est insupportable d’enfermer une personne dans sa chambre. Si une personne devient déambulante et a des troubles du comportement, on met en place un programme spécifique. Si nous avons une très grande difficulté et que nous devons attendre une place dans une unité cognitivo comportementale pour avoir un apaisement, la question de la contention, qu’elle soit physique ou chimique, peut survenir. Elle fait l’objet d’une réflexion institutionnelle avec la famille. On ne décide pas seul. Et ça ne peut qu’être provisoire en attendant une réelle solution. Parce que nous savons très bien que si nous sommes dans une logique de contention, d’isolement forcé, nous serons confrontés à une progression plus rapide de la perte d’autonomie. »

Cette concertation, Pierre Gouabault en fait un devoir. « Nous, les Ehpad, sommes finalement le seul endroit de la République française où la privation des libertés n’est pas contrôlée par le juge. Il faut se poser la question du pourquoi on le fait. Ce n’est pas tant un sujet médical mais de citoyenneté. Chez nous, nous avons donc organisé les espaces de régulation autour de la prise de décision. Il ne s’agit pas de transférer la responsabilité de la décision à un comité éthique, mais à côté de l’évaluation clinique, de mener une réflexion humaniste autour de la personne. Ce principe de collégialité est écrit. Il est acté. Parce que qui sommes nous, directeurs d’établissement, pour décider pour les autres ? »

Le processus éthique avance progressivement dans chaque établissement dirigé par Pierre Gouabault. « Cela prend du temps d’expliquer aux gens que nous sommes un lieu de vie, de trouver des solutions. Avant, dans un des Ehpad que je dirige, les familles ne pouvaient pas assister au repas parce que les soignants le vivaient comme un soin. Il a fallu leur expliquer que le repas était un moment convivial, de partage. C’est d’ailleurs aussi une forme de contention que de priver des résidents de relation sociale. Une privation de liberté. Chacun des établissements que je dirige dispose de la boussole, du cap, mais la carte, ils l’écrivent ensemble, pas à pas, à mesure qu’ils montent en maturité, qu’ ils organisent la réflexion avec les familles et les acteurs du territoire. C’est un travail de longue haleine. Je peux m’agacer, me montrer impatient et même me mettre en colère. Mais il faut dire qu’on a tellement abîmé et mal pensé nos établissements que nous en sommes aujourd’hui fragilisés. »

Et Pierre Gouabault de conclure: « Il s’agit finalement de respecter l’accès aux droits des plus fragiles et de respecter ces droits. C’est une nécessité, ce n’est pas une marotte. J’insiste. Le droit doit guider notre action. Le droit, c’est ce qui permet quand tout empêche.»