23 juillet 2020
« Me braquer, cela n’en valait pas la peine »

Olivia nous raconte comment elle a réussi à préserver le lien avec son père en composant avec sa nouvelle identité.

L’identité n’est jamais figée. C’est également le cas chez les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer. La tentation est grande de vouloir lier son proche à un état qu’on a toujours connu et qui nous rassure.

Olivia, 43 ans, comprend cette tentation, mais elle l’a rapidement balayée quand elle est devenue aidante de son père, décédé en 2016 à l’âge de 74 ans, et diagnostiqué 6 ans plus tôt. « J’ai très vite compris que ce n’était pas possible de vouloir que son proche reste le même. Si je le figeais dans le passé, cela allait être difficile pour lui et pour moi. Cela allait probablement être source, pas forcément de conflit, mais d’incompréhension. Parfois, je m’agaçais. Mais voilà, à un moment, je me suis dit qu’il fallait arrêter de s’épuiser, de perdre notre temps et notre énergie. Alors, j’ai choisi de ne plus lutter contre la maladie. J’ai cherché le processus inverse, l’acceptation. »

Bénévole à France Alzheimer et maladies apparentées Essonne, Olivia comprend qu’adopter cette attitude n’est pas aisé pour tout le monde. « Cela dépend de la nature des personnes, de la relation avec la personne malade et de l’évolution de la maladie. Je dois dire que j’ai toujours eu une relation fusionnelle avec mon père et que je suis d’un naturel serein. J’ai toujours réussi à calmer mon père. »

Pour accompagner et encourager son père a pleinement exprimer sa nouvelle manière d’être, quand bien même elle ne correspondait plus à l’image qu’elle avait de lui, Olivia n’a pas de recette toute faite. Encore une fois, cela dépend des personnes et de la maladie. « Il ne faut pas rester dans l’image du passé, Il faut aussi s’armer de patience et se dire que si c’est difficile pour nous, si c’est difficile pour les aidants, c’est aussi très difficile pour la personne malade. Il faut se mettre à la place de l’autre personne et voir ce que la maladie peut engendrer comme craintes. On sent que cela peut provoquer un agacement, des peurs… Il faut alors se montrer rassurant. »

Et notre interlocutrice de prévenir. « On peut être tenté d’avoir un discours et une attitude comme si on était face à un enfant, mais il ne faut pas tomber dans ce piège. »

Olivia concède que ça n’a pas été facile tous les jours. « Mais ça en a valu la peine », assure-t-elle. « Il a fallu prendre sur soi. La première fois qu’il m’a dit « T’es qui toi ? », cela m’a fait mal. Je suis devenue la cousine, la sœur… C’était dur à encaisser. Parfois, je pouvais repartir en m’effondrant. Cela m’affectait. Mais je ne pouvais pas en rester là. Alors, j’ai avancé pas à pas. Je n’allais pas me battre pour des choses pas si graves même si mon père n’était plus tout à fait celui que je connaissais. Il y a eu des moments où l’on est surpris, désarmé et déstabilisé. Mais si on ne se braque pas, tout s’estompe un peu. On se rend compte que le fond de la personne reste le même. Mon père a toujours été affectueux et aimant, il continuait d’embrasser ma mère sur la bouche, il nous aimait ma mère et moi. Et ça, je l’ai ressenti jusqu’au dernier moment. Je trouvais toujours un moyen pour passer un bon moment avec lui. Et je voyais dans son regard que c’était des moments agréables, même s’il ne pouvait plus le dire. Il avait des gestes affectueux. Je sentais qu’il était bien, qu’il y avait un échange, qu’il y avait de l’amour. Finalement, ça a valu le coup de ne pas se braquer, de ne pas s’énerver sur cette nouvelle personne, mon père. »