16 janvier 2023
Prendre la maladie à revers

De nombreuses associations départementales France Alzheimer et maladies apparentées organisent des activités physiques adaptées destinées aux personnes malades ainsi qu’aux aidants. Elles proposent de la marche, de la gymnastique douce, de la piscine, de la danse… L’activité qui semble la plus bénéfique, aux yeux des familles la pratiquant en tout cas, c’est le tennis de table.

En France, elle s’est tout d’abord développée au club de tennis de table de Levallois (Hauts-de-Seine), avec la mise en place de séances spécifiques et avec des éducateurs sportifs formés à la pathologie. Les personnes malades, les aidants, les éducateurs sportifs et les bénévoles y ont constaté des bienfaits en matière de socialisation, de concentration, de perception de l’espace visuel ou encore de coordination motrice. Le tennis de table semble, en outre, stimuler des fonctions cognitives.

En novembre 2019, France Alzheimer et la Fédération française de tennis de table (FFTT) ont noué un partenariat. Depuis, des associations départementales et des clubs de tennis de table se sont rapprochés pour proposer des séances de ping-pong adaptées aux personnes malades et aux aidants, au sein même des clubs, avec des éducateurs sportifs formés à la maladie.

Prendre la maladie à revers : jeux de table

« Une fois la raquette entre les mains, monsieur s’est réveillé »

Parmi les personnes malades qui jouent au tennis de table, Didier Blot, un Nantais de 59 ans diagnostiqué Alzheimer début 2020. Chaque vendredi après-midi, il se rend en transports publics à une heure de son domicile, à Carquefou.

« Didier a dû arrêter de travailler et il fallait à tout prix compenser cela avec des activités », explique Catherine, son épouse. « Mon mari n’est pas dans le déni mais je voulais à la fois qu’il sorte de la maison, qu’il reste actif, qu’il voit des gens qui ont la maladie et d’autres qui ne l’ont pas. Je ne voulais pas qu’il se sente seul, face à la maladie. Il a aussi besoin de la collectivité, d’être en groupe, de voir des gens. »

Sur le conseil de leur neurologue, le couple a contacté France Alzheimer Loire-Atlantique. « Quand je me suis rapproché de l’association, on m’a proposé des activités auxquelles je pouvais participer et j’ai tout de suite dit que je voulais notamment faire du tennis de table », souligne Didier. « C’est bien encadré. C’est à la fois professionnel avec du personnel formé et convivial. Le tennis de table, ça me fait du bien. L’air de rien, je fais de l’exercice en m’amusant. Ça stimule le cerveau et je vois des gens. Et puis, j’aime bien l’ambiance, je me fais des amis. »

Catherine acquiesce. « Le tennis de table lui a déjà permis et lui permet encore de mieux s’orienter, de mieux maîtriser son équilibre et sa place dans l’espace. C’est étrange mais avant le tennis de table, il faisait tout tomber et après, ça s’est soudainement arrêté. Didier souffre d’aphasie et quand il rentre du tennis de table, sa parole est plus fluide. Il parle mieux. C’est véritablement impressionnant. Il est plus calme aussi, plus posé, plus concentré ; il s’éparpille moins. Et puis, mon mari aime l’esprit de groupe, se retrouver avec d’autres personnes, ça le stimule. Tous ces bienfaits, ça me ravit. Ça nous ravit, tous les deux. Je suis convaincue des effets bénéfiques du tennis de table pour mon mari. France Alzheimer les avait vantés, mais je ne m’y attendais pas à ce point. »

Catherine se souvient de la première fois où elle s’est rendue au club de ping-pong de Carquefou. « J’ai montré le chemin à mon mari pour qu’il prenne seul le bus depuis Nantes. Il a une excellente mémoire visuelle et puis, je pense que c’est important pour son autonomie. Au début de la séance de tennis de table, j’y ai vu un monsieur endormi, apathique. Et quand il a eu sa raquette entre les mains, il s’est réveillé. Ce n’était plus du tout la même personne. J’ai été stupéfaite. Il faut vraiment le voir pour le croire. »

Didier s’y plaît tellement aujourd’hui qu’il enchaîne les deux séances du vendredi après-midi. Et grâce au club de ping-pong de Carquefou et à France Alzheimer LoireAtlantique, il s’est fait de nouveaux amis.

Prendre la maladie à revers : jeux de table

Partout, les mêmes retours positifs

Les retours d’expérience sont similaires dans les territoires où des clubs de tennis de table et des associations départementales proposent des séances de ping-pong aux personnes malades. « C’est très surprenant », lâche Paul Choisnet, président de France Alzheimer Mayenne, évoquant ensuite un autre aspect bénéfique des séances de ping-pong : l’inclusivité. « Les participants vivent ici des moments heureux et ils vivent ces moments dans une totale inclusivité dans la société. Pas à l’abri des regards mais dans un club de ping-pong, avec des trophées sur les murs. »

De jeunes affiliés au club de Laval Bourny Tennis de Table échangent même quelques balles avec des personnes malades avant de prendre part à leur entraînement. « J’arrive plus tôt avant mon cours et au lieu de rester sur le banc à attendre, je joue avec eux », glisse Noa, 13 ans. « Ça m’occupe et ça m’échauffe pour mon cours. Et puis, ça me fait plaisir. J’aime bien partager des moments avec des personnes âgées. J’en avais parlé à ma maman et elle m’avait aussi encouragé à le faire. »

La dynamique est similaire au club Le Mans Sarthe Tennis de Table, qui a noué un partenariat avec l’association départementale de France Alzheimer. « Nous avons proposé à plusieurs reprises aux personnes malades de jouer avec les jeunes du club et cela a très bien fonctionné », souligne Alex Lelaure, éducateur sportif. « C’était très plaisant, il y a eu de beaux échanges intergénérationnels, et nous allons mettre cela en place de manière plus récurrente. »

Alex Lelaure souligne par ailleurs qu’il a suivi plusieurs formations, avec la FFTT et France Alzheimer. « C’est essentiel pour moi d’être formé. Cela m’a permis de mieux comprendre la maladie, de comprendre qu’elle se développe différemment d’une personne à l’autre, et les attitudes à adopter. »

 

Et les aidants dans tout ça ?

Que ce soit à Carquefou, Le Mans ou Laval, généralement, les aidants jouent eux aussi au tennis de table, ou ils discutent entre eux. « On parle bien sûr de la maladie, de nos soucis quotidiens, mais on rigole aussi, on décompresse », indique Marie-Josée, aidante de son mari Claude qui joue au ping-pong au Mans. « Ce temps est une bouffée d’oxygène pour nous, ce sont de véritables moments de détente », ajoutent Monique et Rolande, dont les maris pratiquent le tennis de table à Laval.

Des aidants dont le proche n’est plus à domicile mais en établissement continuent même parfois à participer à cette activité. La raison est simple : ils retrouvent des amis. Le lien social n’est ainsi pas seulement essentiel pour stimuler la personne malade. Il l’est également pour les aidants qui cherchent à éviter l’isolement et le repli sur soi. Bref: des aidants qui veulent continuer à vivre.

 

Indispensable validation scientifique

Les bienfaits semblent être de plusieurs ordres: cognitif (concentration, perception de l’espace visuel, etc.), physique et physiologique (motricité, équilibre, coordination, etc.), psychologique (estime de soi, motivation, etc.) et social. L’aidant aussi paraît tirer des bénéfices des séances de ping-pong adaptées.

Mais tout cela relève de l’empirique. Le conditionnel reste donc de rigueur. Cela reste des hypothèses, tant qu’elles ne sont pas validées scientifiquement.

C’est pourquoi l’association France Alzheimer et maladies apparentées va lancer et financer une étude dont les contours sont en train de s’affiner et qui sera pilotée par Pierre-Louis Bernard , maître de conférences des universités possédant une habilitation à diriger des recherches (HDR), et docteur en sciences du mouvement humain.

Ce projet de recherche peut permettre au moins quatre choses : déterminer s’il y a effectivement des bienfaits, quels sont ces bienfaits éventuels, mieux orienter l’activité physique adaptée et mieux former les éducateurs sportifs.

« Ce type de recherche est tout à fait pertinent », assure l’enseignant-chercheur Pierre-Louis Bernard. « Je suis dans une approche expérimentale. Une approche où l’on fait des hypothèses et où on déduit des interprétations au regard des résultats. Cette démarche critique est nécessaire. Nous sommes donc bien dans une approche objective, constructive. Il s’agit d’objectiver les effets d’une activité, quitte aussi à créer de la déception. Nous avons par exemple réalisé une étude sur la marche nordique avec des personnes âgées et nous avons mis en évidence qu’il n’y avait pas de bénéfice pour certaines fonctions, alors que tous les animateurs étaient convaincus qu’il y en avait. Ça ne veut pas dire que ça ne sert à rien mais que l’activité a certaines limites et qu’il faudrait peut-être l’organiser différemment. »

Une seule étude scientifique, aussi positive soit-elle, ne suffit toutefois pas pour valider une, ou des hypothèses. Il en faut plusieurs, avec différentes approches, différents publics… Mais ce travail est essentiel, aussi parce qu’il pourrait encourager les pouvoirs publics à investir davantage dans la promotion des activités physiques adaptées.