19 novembre 2018
Comment faire face au deuil blanc ?

Confronté aux troubles cognitifs de la personne malade, l’aidant doit malgré tout envisager “une nouvelle vie” aux côtés d’un proche dont la personnalité est mise à mal par la maladie. Un premier deuil s’opère.

C’est tout le paradoxe défini par le deuil blanc : un proche malade dont la présence physique ne peut malheureusement masquer l’absence cognitive et psychologique. La brutalité du terme est, à n’en pas douter, proportionnelle à la souffrance ressentie par l’aidant qui fait face à une personnalité différente de ce qu’il a connu jusqu’ici. “Les proches de la personne malade sont forcément touchés par cette forme particulière de deuil, sans forcément en avoir clairement conscience. C’est un phénomène normal et naturel mais important à connaître et à identifier en soi car, resté dans l’ombre, il peut susciter colère, culpabilité, projection. L’ignorer ne fait qu’accroître un chagrin compréhensible”, présente la psychologue Hélène Sabbé-Bérard.

Deux types de deuil blanc

Les chercheurs ont observé que les aidants vivent le deuil blanc selon deux modèles distincts : le deuil intuitif et le deuil instrumental. Le deuil intuitif se manifeste par des vagues d’émotions (tristesse, douleur intérieure intense, désespoir, solitude, culpabilité, colère, dépression, manque d’énergie physique, pleurs). Les aidants prennent le temps de pleurer le départ de leur proche et font part de leurs sentiments. Le deuil instrumental se caractérise lui par l’expérience intellectuelle et physique du chagrin. Les personnes analysent ce qui se passe et ne veulent pas parler de ce qu’ils ressentent. Ce type de deuil se manifeste par de l’anxiété, de l’agitation ou un surcroît d’énergie. Les personnes qui vivent un deuil intuitif “ressentent” leur peine, tandis que celles qui ont recours au deuil instrumental mettent leur chagrin en “action”.

Perdre son parent malade pour mieux le retrouver

France Alzheimer : Tous les proches de personnes atteintes de maladies neurodégénératives font-ils face au phénomène du deuil blanc ?
Valéry Lechenet* : Si l’on entend par deuil blanc cette épreuve de réalité qui nous contraint d’accepter la perte de l’être aimé tel que nous l’avons connu et nous invite à changer notre relation à lui, la réponse est oui. L’aidant va devoir faire face aux profondes modifications du lien qu’il entretenait avec la personne malade, supporter la transformation d’un être cher, de sa personnalité, de ses compétences. Un processus de deuil se met en place alors même que la personne n’est pas décédée. Une nouvelle relation s’installe. C’est un peu une séparation imposée qui débute du vivant de la personne malade, se poursuit durant sa maladie et continue jusqu’à sa mort.

France Alzheimer : Comment se manifeste ce deuil blanc ?
V. L. : Dépossédé de ses repères habituels, l’aidant fait l’apprentissage d’un nouveau rôle sous le signe de la perte, impliquant le développement de modalités relationnelles différentes. Il faut accepter de voir l’être cher non plus comme ce qu’il était mais comme ce qu’il est. Il faut réinvestir psychologiquement ce parent changé par la maladie. Il s’agit de le perdre puis de le retrouver.

France Alzheimer : Quels repères et ressources peut-on donner aux proches aidants ?
V. L. : L’entourage devra soutenir l’aidant, lui permettre d’exprimer ce qu’il ressent, même s’il s’agit de sentiments ambivalents. L’aidant doit lutter contre des émotions parfois opposées (dont les deux polarités sont l’amour et la haine) pour un proche idéalisé dans le souvenir mais dont la vie quotidienne rappelle le déclin. La fatigue et les tensions avec la personne malade fragilisent l’aidant qui aura besoin de soutien. C’est le rôle des groupes de parole, du soutien psychologique individuel, de l’entourage de l’aidant. Le deuil blanc se vit auprès des autres, il ne s’apprend pas dans les livres. Comme souvent, la tristesse et même la dépression avaient déjà commencé avant la mort de la personne malade, ce deuil blanc peut permettre d’atténuer la douleur de la perte définitive de l’être aimé.

* Valery Lechenet, psychologue clinicien à l’hôpital de Sens (Yonne, spécialisé en neuropsychologie.